La danse Apsara, emblème majeur du patrimoine culturel cambodgien, puise ses racines dans l’héritage artistique d’Angkor Vat. Créée au milieu du XXe siècle par la reine Sisowath Kossamak Nearirath, elle s’inspire des bas-reliefs du temple, notamment des nymphes célestes Apsaras. La reine a codifié les mouvements et les postures pour affirmer une identité khmère distincte de la danse classique thaïlandaise. Les costumes, les tiares et les bijoux, repensés à partir des ornements d’Angkor Vat, participent à cette réappropriation culturelle. La danse Apsara est ainsi devenue un symbole de résistance et de fierté nationale. Elle s’est imposée comme un outil de diplomatie culturelle sous le règne du roi Norodom Sihanouk. Le Ballet Royal, dont la princesse Norodom Buppha Devi fut une figure emblématique, a porté cet art à l’international. La danse Apsara mêle spiritualité, esthétique et revendication identitaire. Elle incarne la résilience et la continuité de la tradition khmère face aux bouleversements historiques. Aujourd’hui, elle reste un chef-d’œuvre vivant, témoignant de la grandeur et de la singularité du Cambodge.
Textes, vidéo 3 © Patrick Kersalé 1996-2025. Autres vidéos, voir génériques. Dernière mise à jour : 1er
juillet 2025.
SOMMAIRE
La reine Sisowath Kossamak Nearirath (1904-1975) a joué un rôle déterminant dans la renaissance de la danse classique khmère en créant la danse Apsara, dont les costumes et certaines positions sont inspirés des bas-reliefs du temple d'Angkor Vat. Son initiative visait à la fois à renouer avec le patrimoine artistique khmer et à affirmer l'identité culturelle du Cambodge face à la Thaïlande.
À son époque, les costumes et danses de la cour cambodgienne ressemblaient fortement à ceux de la cour de Thaïlande, en raison des influences historiques entre les deux royaumes. La reine Kossamak souhaitait rompre avec cette similitude et ancrer la danse royale dans une esthétique proprement khmère, en puisant dans l’héritage angkorien.
Dans les années 1950-1960, la reine Kossamak supervisa la création de cette danse en s’inspirant directement des Apsaras (nymphes célestes) sculptées sur les murs des temples d’Angkor Vat, notamment la scène du Barattage de l'Océan de lait de la galerie sud-est d'Angkor Vat. Elle codifia les mouvements et les postures pour en faire une chorégraphie distincte du reste du répertoire classique.
Un élément clé de cette renaissance fut le redesign des costumes et des coiffes. Les danseuses furent habillées de soieries dorées et parées de tiares, de bracelets et d’écharpes, reproduisant aussi fidèlement que possible les ornements des Devatas et Apsaras d’Angkor. Ces choix marquaient une rupture stylistique avec les costumes thaïlandais, renforçant ainsi l'identité khmère.
Au-delà de sa dimension artistique, la danse Apsara devint un outil de diplomatie culturelle sous le règne de son fils, le roi Norodom Sihanouk. Le Ballet Royal, pièce maîtresse du patrimoine immatériel khmer, fut envoyé en tournée à l’étranger pour promouvoir le Cambodge comme héritier de la civilisation angkorienne.
Même après les bouleversements politiques (chute de la monarchie en 1970, régime des Khmers rouges), la danse Apsara resta un symbole de résistance culturelle. Aujourd’hui, elle incarne toujours la grandeur de la tradition khmère et perpétue le legs de la reine Kossamak.
Le film Apsara, comédie mélodramatique tournée en 1965 par le roi Norodom Sihanouk, à la fois réalisateur, scénariste et dialoguiste, contribua à faire connaître cette danse à travers le monde.
La danse Apsara, symbole culturel du Cambodge, se distingue par sa richesse et sa complexité. Héritage des traditions angkoriennes, — tout en s'en démarquant — elle peut être perçue sous plusieurs facettes : sacrée, transcendante ou politique. Ces dimensions coexistent, offrant à cet art une profondeur unique.
La danse Apsara n'a pas été créée ex nihilo, elle trouve ses origines dans les croyances spirituelles du Cambodge, influencées par l’hindouisme et le bouddhisme. Les Apsaras, nymphes célestes, incarnent la grâce divine et servent d’intermédiaires entre le monde humain et le monde divin. Cette danse reprend leurs gestes et postures, les inscrivant dans un cadre spirituel et sacré.
Historiquement, les danses classiques khmères étaient (le sont encore lors de certaines occasions) exécutées lors de cérémonies royales ou rituelles, en hommage aux divinités. Les danseuses étaient perçues comme des figures sacrées, chargées de canaliser des énergies spirituelles. Chaque mouvement dans la danse Apsara possède une signification symbolique. De plus, la lenteur et la fluidité des gestes, combinées à une musique héritée de siècles de tradition, permettent au spectateur de se connecter à une dimension transcendante et spirituelle.
Le contexte historique du XXe siècle a conféré une dimension militante et politique à la danse Apsara. Sous l’impulsion de la reine Sisowath Kossamak, cet art a été réinventé pour affirmer l’identité culturelle khmère dans un Cambodge qui sortait de la colonisation française.
Un aspect clé de cette renaissance était la différenciation vis-à-vis de la danse classique thaïlandaise, perçue comme trop proche de celle de la cour cambodgienne. En s’inspirant des bas-reliefs d’Angkor pour les costumes, les tiares et les accessoires, la reine a fait de la danse Apsara un art profondément lié à l’identité cambodgienne, tout en rompant avec les influences étrangères. Cette réappropriation culturelle avait également une portée politique, affirmant que l’héritage d’Angkor était exclusivement cambodgien.
Enfin, la danse Apsara a servi d’outil diplomatique. Les performances de la princesse Norodom Buppha Devi, sous la direction de la reine, ont permis de présenter une image glorieuse et raffinée du Cambodge sur la scène internationale, renforçant la reconnaissance culturelle du pays.
Au-delà de ses aspects sacrés et politiques, la danse Apsara est un chef-d’œuvre esthétique et émotionnel. Sa chorégraphie, empreinte de fluidité et de précision, captive par sa beauté. La lenteur des gestes et la grâce des danseuses transportent les spectateurs dans un état de contemplation et d’émerveillement. Ce caractère transcendantal confère à la danse une portée universelle, dépassant les frontières culturelles et temporelles. Ainsi, la danse Apsara ne peut être confinée à une seule définition :
En conclusion : si une seule appellation devait être retenue, la danse Apsara pourrait être qualifiée de danse identitaire. Elle reflète l’âme du Cambodge, mêlant spiritualité, esthétique et revendication culturelle. C’est une œuvre vivante qui incarne le passé glorieux du pays, tout en affirmant sa résilience et sa singularité sur la scène mondiale. Par sa profondeur et sa polyvalence, la danse Apsara transcende les étiquettes, devenant un symbole intemporel de la culture khmère. La reine Kossamak, ainsi que tous les acteurs impliqués dans le "programme Apsara" — notamment à travers la danse elle-même et le film éponyme réalisé par le roi Norodom Sihanouk —, ont contribué, parfois malgré eux (grâce à l’histoire et à la propagande), à assimiler cette seule "danse Apsara" à l’ensemble du corpus des danses classiques khmères dans l’imaginaire collectif.
Le film Apsara (អប្សារា) est une comédie mélodramatique tournée en 1965 par le roi Norodom Sihanouk, à la fois réalisateur, scénariste et dialoguiste.
Scénario : le général Ritthi a pour maîtresse la plantureuse Rattana. Lors d’une représentation du ballet royal, il découvre la jeune danseuse-étoile Kantha. Ébloui par sa beauté, il s’empresse de demander sa main à sa mère, d’origine modeste, qui accepte sans en informer sa fille. Or, Kantha est amoureuse de Phaly, un jeune lieutenant de l’Armée de l’Air. Le lendemain du mariage, alors que le mariage n'est pas encore consommé, Kantha s’ouvre au général Ritthi et lui avoue qu’elle se destinait depuis son plus jeune âge au bel aviateur.
Ci-après :
Vidéo 1. Le réalisateur et chef d'état Norodom Sihanouk donne une interview en français juste avant la première projection publique. Un must !
Vidéo 2. Nous publions ici, dans son intégralité, la danse originale du film.
Vidéo 3. Elle montre divers éléments symboliques :
Vidéo 1
Vidéo 2
Vidéo 3
La princesse Norodom Buppha Devi, fille aînée du roi Norodom Sihanouk, est une figure majeure du Ballet royal du Cambodge. Initiée à la danse par sa grand-mère, la reine Sisowath Kossamak, elle devient première danseuse à 15 ans puis prima ballerina à 18 ans, surnommée "Apsara blanche" pour sa maîtrise de cette danse emblématique. En 1965, elle joue dans le film Apsara réalisé par son père, ce qui accroît sa renommée internationale.
Fuyant le Cambodge lors du coup d’État des Khmers rouges en 1970, elle s’installe d’abord à Pékin puis à Paris, où elle enseigne la danse à la diaspora cambodgienne. De retour au pays en 1991, elle découvre que la plupart des danseuses du Ballet royal ont été tuées pendant la guerre. Déterminée à restaurer cet héritage, elle organise la reprise des représentations internationales et, en tant que ministre de la Culture (1999-2004), travaille à la reconstitution du Ballet malgré des moyens limités.
Elle fonde la fondation Neak Moneang Phat Kanhol pour soutenir les arts et encourager la conservation des ballets par vidéo. Grâce à son action, le Ballet royal du Cambodge est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2003. Jusqu’à sa mort en 2019, Norodom Buppha Devi est restée une icône essentielle de la renaissance culturelle cambodgienne, dédiée à la préservation et à la transmission de cette tradition millénaire.
L'Oiseau de paradis de Marcel Camus. 1962
Danse cérémonielle.