Hautbois - pei ar ប៉ីអ


MAJ : 3 décembre 2023


Le pei ar ប៉ីអ (parfois translittéré pei au, pey â), encore appelé pei prebos (preboh, praboh) est un hautbois à anche large et perce cylindrique. Sa sonorité est comparée, par les musiciens khmers, au bruit strident des cigales. Il n'existe pas, sinon à l'Université Royale des Beaux-Arts de Phnom Penh, de longueur et d'échelle standardisée. Comme le pei ar ne peut être accordé après fabrication, c'est aux instruments qui l'accompagnent de s'accorder.

Le pei ar est similaire — hormis le mirliton — au duduk arménien.



Le pey â, d'après Jacques Brunet, c.1968

Nous nous permettons de rapporter ici le texte de l'ethnomusicologue français Jacques Brunet datant d'avant 1968 et publié dans le Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient / Année 1979 / 66 / pp. 203-254. Nous avons pris la liberté de supprimer les translittérations en majuscules pour les remplacer par les termes en langue khmère.

Ce texte est riche d'enseignements quant à l'utilisation des dimensions corporelles. Il révèle aussi des techniques de fabrication. Les techniques employées conduisent de facto à créer une l'échelle équiheptatonique. Nous avons par ailleurs décrit cette pratique pour la fabrication des flûtes au Ratanakiri.

 

Fabrication

Le pey â est un hautbois dont le corps tuor est généralement en bambou de diverses sortes dâk may, kaêv ou pingpong សីពីងពង់. Le bambou est choisi assez fin et on le coupe au niveau d'un nœud dans lequel s'emboîtera ensuite l'anche. La longueur du corps de l'instrument est calculée à partir soit d'un étalon (ficelle, latte de bois, etc.), soit par ampans et longueurs de doigts. Ainsi au village de Sras Srang (Siem Reap) le musicien calcule la longueur de son instrument à partir d'un ampan, plus la largeur de deux pouces. Un autre, à partir de la largeur de dix pouces. L'extrémité à laquelle sera fixée l'anche double est ensuite taillée en cône à l'intérieur du nœud afin que l'anche puisse venir s'emboîter sur le corps du hautbois. Le diamètre de l'instrument est choisi à la fois en fonction de la capacité de souffle du musicien et aussi selon la couleur du timbre que l'on veut obtenir. Après quoi on passe à la percée des trous. Ce même musicien de Sras Srang, nommé Ta Sok, utilise alors un fil de la longueur du corps de l'instrument qu'il plie en deux. A la moitié du bambou il perce alors un trou qui sera en fait le sixième. Puis il plie à nouveau le fil en deux et perce donc un nouveau trou qui se trouve donc au quart de la longueur du corps du pey â. Enfin il divise sa corde en trois et cette mesure donne alors l'espacement entre chaque trou. Un septième trou est ensuite percé en tenant compte de cette même mesure. Ainsi sur l'instrument en ma possession long de 29,6 cm, les trous sont espacés de 2,5 cm les uns des autres et ceci à partir du nœud de l'instrument. L'emplacement exact des trous est contrôlé à l'oreille à partir de ces mesures et il est parfois nécessaire de retailler un autre tuyau si la gamme recherchée n'a pas été obtenue. Une autre méthode plus facile consiste tout simplement à copier et respecter les dimensions d'un instrument semblable. Nous avons vu aussi fabriquer un pey â à Battambang : le musicien perçait d'abord un premier trou au milieu du tuyau puis établissait la distance entre chaque trou par la largeur de son pouce. Au village de Vat Svay Andet (Lovea Em), on perce tout d'abord le trou du milieu dit run pram thien puis on perce trois autres trous de part et d'autre du pram thien à partir de la mesure d'une ficelle pliée quatre fois. A Takêo on perce le premier trou à deux pouces de l'orifice supérieur puis chacun des autres trous est percé à un pouce de distance du précédent. Les méthodes sont en fait nombreuses et ont été appliquées à l'origine par chaque musicien de façon empirique à partir d'un étalon qui peut être non seulement une ficelle mais aussi un doigt, une main et très souvent un orteil. Après quoi les méthodes considérées comme les plus astucieuses ont été conservées par les gens du village. Au même niveau que le premier trou, on perce un trou antérieur dit run huoch qui sert à moduler une note et à produire des glissandi selon qu'on le bouche plus ou moins. Beaucoup de musiciens le tiennent toujours bouché par le pouce. Toujours à la même hauteur que le premier trou, un trou latéral dit run haêp est aménagé sur lequel on colle à l'aide d'un peu de cire une feuille de papier à cigarette — autrefois une section d'herbe affinée — ou de la moelle de roseau. Cet accessoire produit un effet nasillard. Le tuyau de l'instrument est choisi sur un bambou ni trop jeune ni trop vieux et dont la surface extérieure est bien régulière. La cavité doit être elle-même bien lisse. Ce hautbois a ceci d'exceptionnel que son corps est cylindrique alors que dans le monde entier le hautbois est presque toujours à perce conique. Une fois coupé, le bambou est mis à sécher avant d'être travaillé. Les trous sont percés au fer rouge. Sur les exemplaires que nous avons mesurés la section des tuyaux variait entre 8 et 12 mm, leur longueur ne dépassait pas 30 cm. L'anche double ândat អណ្តាត = langue, est fabriquée à partir du roseau dit prâboh ; c'est pourquoi le hautbois est aussi souvent appelé pey prâboh. L'extrémité est taillée dans un noeud afin qu'elle puisse par la suite être facilement insérée dans le tuyau de l'instrument. Au repos anche et tuyau sont séparés. L'anche double est choisie dans du roseau frais qu'on ensevelit dans de la cendre chaude afin d'en assouplir la paroi. Lorsque la cendre commence à refroidir on aplatit l'extrémité sans noeud de la section du roseau (celle qui sera transformée en anches vibrantes), et on la maintient ainsi sous une petite presse pendant plusieurs jours jusqu'à ce qu'elle garde la forme dite « en bec de canard ». L'anche est utilisable à partir du moment où elle ne s'arrondit plus lorsqu'on la retire de la presse. Enfin on taille et on amincit à l'extrême ce qui est devenu deux lamelles vibrantes afin de les assouplir au mieux puis on râcle leur surface afin d'obtenir une parfaite régularité de l'anche double. Les deux lamelles sont maintenues serrées l'une contre l'autre par un petit corset de bambou protecteur snap (généralement deux petites tiges flexibles de bambou maintenues ensemble par des fils noués). Après quoi on trempe longuement l'anche double dans de l'eau de chaux mélangée à un peu d'acide afin que la matière soit bien morte et ne se gonfle plus à l'humidité des lèvres. La durée de ce bain (2 à 3 jours) est décidée par le facteur de l'instrument. Lorsqu'on joue du pey â, on place généralement — mais pas nécessairement — une sorte de petit tendeur khniep  (= presse) qui, en serrant les crêtes des anches les empêchent de se plaquer l'une contre l'autre pour qu'elles puissent toujours vibrer. Lorsque le pey â est en ordre de fonctionnement, l'anche est encastrée dans le tuyau, l'extrémité du tuyau étant souvent baguée d'une petite lame métallique afin d'éviter qu'elle ne se fende. L'anche fait environ de 11 à 12 cm de longueur. Quelquefois le pey â est taillé dans du bois de krâkâh, particulièrement chez les musiciens où existe une tradition musicale influencée par le Siam. Ce genre de pey â se pratique au palais royal de Phnom-Penh et chez beaucoup de musiciens de Battambang, plus rarement ailleurs. Les mesures prises pour sa fabrication sont alors extrêmement précises (car on ne peut pas retoucher un trou dans le bois) et le décimètre est de rigueur. Les dimensions sont semblables à celles du pey â en bambou. Celui que nous possédons fait, en état de fonctionnement, 39,4 cm (anche 11 cm, tuyau 29 cm lorsqu'ils sont séparés). Le corps est parfaitement lisse et un peu bombé au centre, et les deux extrémités du tuyau sont cerclées d'une mince bague métallique. Bien qu'en bois, la perce du tuyau est aussi cylindrique. En bois de krânhung, il a été percé à l'aide d'une tige métallique de section rectangulaire dite daêk khay. La hauteur de l'instrument varie selon les musiciens. Cependant les intervalles sont généralement respectés quelle que soit la hauteur de la tonique.

 

Jeu

Lorsque tous les trous sont bouchés on obtient la note la plus grave dite samleng ko. En laissant ouverts les trous 7, 6 et 5, on obtient le samleng kândal សំឡេងកណ្តាល (= son medium) à une quarte du son grave. Enfin en conservant la même position des doigts mais en soufflant plus fort on obtient le samleng aêk សម្លេងឯក (= son premier) c'est-à-dire le degré aigu à la quinte du son médium. Les autres instruments sont accordés sur ces trois degrés dans la plupart des orchestre. En laissant tous les trous successivement ouverts l'un après l'autre on obtient l'échelle suivante sur le pey â de Péang-Lovea (voir portée musicale dans le document original). L'échelle varie selon les provinces, souvent même selon des villages proches les uns des autres. En soufflant plus fort on obtient approximativement les notes de l'octave supérieure. Cependant les degrés de l'octave supérieure ne correspondent pas exactement à ceux de l'octave grave. D'autre part selon les possibilités vocales du chanteur, le degré fondamental peut changer comme nous le montrerons plus loin avec I'exemple de quelques échelles. Voici à titre d'exemple l'échelle d'un pey â relevé à Phnom-Penh où la gamme occidentale est plus influente (voir portée musicale dans le document original).  Pour jouer de pey â on bouche les trous 1, 2, 3 avec l'index, le majeur et l'annulaire de la main droite et les trous 4, 5, 6, 7 avec l'index, le majeur, l'annulaire et l'auriculaire de la main gauche. Pour définir l'emploi d'un instrument, les Cambodgiens utilisent le terme correspondant à l'acte de pratiquer cet instrument. Ainsi pour dire « jouer du hautbois », on dit « souffler », soit phlom pey âr ផ្លុំប៉ីអ. Ce même terme est utilisé pour tous les instruments à vent.


Usage

Le pei ar  était joué, jusqu'à la Révolution khmère rouge, dans l'orchestre de mariage ancien phleng kar boran aux côtés du chapei, du skor daey, du kse diev et du tro khmer, un ensemble orchestral aujourd'hui devenu rare.

Certains ensembles arak continuent d'utiliser cet instrument parfois remplacé par le tro et, dans certains cas, par le sralai.


Vidéos

Cet orchestre de mariage ancien phleng kar boran se compose des instruments suivants : luth chapei, hautbois pei ar, vièle tro khmer, cithare kse diev, couple de tambours skor daey. La plupart de ses membres appartiennent à la dernière famille détentrice de ce précieux savoir-faire à Siem Reap, la famille Maen. Ce tournage a été réalisé en novembre 2017 dans le cadre d'un enregistrement audio. Ce chant s'intitule Som Pong Pon.


Cet ancien orchestre de musique de possession phleng arak boran se compose des instruments suivants : luth chapei, hautbois pei ar, vièle tro khmer, cithare kse diev, couple de tambours skor daeyLa plupart de ses membres appartiennent à la dernière famille détentrice de ce précieux savoir-faire à Siem Reap, la famille Maen.