Cithare - krapeu - ក្រពើ


MAJ: 3 juin 2021


krapeu ក្រពើ est une cithare sur caisse à trois cordes. Ce terme khmer, aussi translittéré kropeu, signifie “crocodile”. Il est aussi connu sous le nom d'origine siamoise តាខេ takhe (chakhe/jakhe จะเข้, lui-même dérivé de chorakhe จระเข้) et dont la traduction est la même. Il doit ce nom à un ancien instrument monoxyle  en forme de crocodile. Il évoluera par la suite vers la technologie actuelle, mais toujours avec sa gueule de crocodile, avant que ses lignes ne s'épurent et deviennent neutres, probablement à cause de la peur qu'inspire ce reptile, symbole de la mort. Son origine est probablement môn. 

Dans l'orchestre mohaori de la cour royale du Cambodge du XXe siècle, le krapeu se déclinait selon deux tailles : krapeu ek et krapeu thung.



Cithare monoxyle en forme de crocodile

Le krapeu contemporain est le “petit-fils” de l'instrument monoxyle en forme de crocodile. Ce dernier était à l'image du kyam ကျာံ (prononcer “chyam”) du Myanmar. La littérature affirme que le krapeu serait une déclinaison du chapei. Cette assertion est infondée, même si certains principes organologiques sont similaires. 



Cithare sur caisse en forme de crocodile

La cithare sur caisse en forme de crocodile est quant à elle la fille de la cithare monoxyle ancienne. Elle semble avoir été une évolution nécessaire car la cithare monoxyle était peu sonore. Le volume de la caisse de résonance plus important et l'essence de bois utilisé (jacquier) contribuent l'un et l'autre à une meilleure acoustique. Cette cithare n'est plus jouée au Cambodge. La dernière cithariste khmère, qui vivait à Surin, la province khmérophone de Thaïlande, est décédée au début des années 2010. L'instrument ci-contre a été construit par M. Sok Houen à l'instigation de Patrick Kersalé, d'après un original conservé au Cambodian Cultural Village de Siem Reap.

Dernière joueuse khmère de cithare en forme de crocodile. Thaïlande, province de Surin.  Photo © Michel Antelme.

Dans cette vidéo, Men Pheakdey joue l'instrument construit par M. Sok Houen.



krapeu contemporain

Le krapeu est fabriqué en bois de jacquier. Il mesure 1,30 m de long et repose sur trois ou cinq pieds d'une douzaine de centimètres de hauteur. La partie antérieure, étroite, est arrondie ou triangulaire, tandis que la partie postérieure, correspondant autrefois à la queue du crocodile, est plus large et se termine en triangle. L'instrument possède douze frettes (khtung ខ្ទង់) en bois de neang nuon sont généralement recouvertes d'os. Elles étaient autrefois en ivoire. Les trois chevilles (pronuot ព្រលួត) sont généralement sculptées, elle aussi, dans du bois de neang nuon. Le chevalet (prakien) était autrefois en ivoire ; il est aujourd'hui en bois, bois et os, ou en résine dont la couleur et la texture tendent à imiter l'ivoire.

La corde la plus aiguë est nommée ksae aek (ខ្សែ ឯក), la seconde ksae ko (ខ្សែ គ)et la troisième, la plus basse, ksae ko santor. Toutes les trois sont fixées à une petite boîte de cuivre mince appelée គីង្គក់ “crapaud” dont le rôle est d'amplifier le son en apportant un grésillement. Ce dispositif existait déjà sur les cithares de l'Inde antique. On retrouve ce type de sonorité, depuis toujours recherchée par les musiciens indiens, sur les chapei contemporains et le hautbois pei ar

Le jeu du krapeu utilise la technique du trémolo (à l'image du jeu de la mandoline). Certains musiciens sont particulièrement virtuoses. Le krapeu est utilisé dans des ensembles de divertissement mohaori, de mariage phleng kar et aayaaye.


Krapeu du roi Sisowath Monivong

En 1930, lors de sa visite à la Cour du Cambodge, le roi Prajadhipok (Rama VII) de Thaïlande reçoit des mains du roi Sisowath Monivong plusieurs instruments de musique prestigieux, dont ce krapeu. Précieusement conservé depuis lors, il est désormais exposé au Musée National de Bangkok dans un parfait état de conservation. Toutes les pièces en de couleur claire sont en ivoire.

Découvrez les deux chapei du roi Sisowath Monivong en cliquant ici. Merci aux conservateurs thaïlandais d'avoir protégé ce trésor !


Musique traditionnelle khmère

Les deux vidéos ci-dessous présentent respectivement un exemple de musique de mariage phleng kar et de musique mohaori dont l'instrument principal est le krapeu.

Musique de mariage phleng kar. Kompong Cham.

Musique mohaori. Bakong, Prov. Siem Reap.


L’orchestre mohaori contemporain est d’influence thaïe mais très certainement créé par les Khmers angkoriens. C’est l’un des rares ensembles non rituels dédiés à usage récréatif. Il se compose ici d'une vièle bicorde tro sau, d’une cithare sur caisse krapeu, d’une cithare sur table khim, de cymbalettes chhing, d’un tambour skor daey.

Ces musiciens, filmés en 2006 au temple de Ta Prohm, sont des victimes de mines anti-personnel.