Au Cambodge, les pratiques de guérison magique menées par des médiums-exorcistes rūp រូប sont ancrées dans la religion populaire khmère depuis des temps immémoriaux. Ces médiums sont consultés selon les habitudes des patients, leur statut social et leur implantation urbaine ou rurale, soit dès les premiers signes d’une altération de la santé, soit en dernier recours lorsque les soins modernes échouent.
Cette étude analyse un rituel filmé en 2012 près de Kampot, au village de Faen Pon Luong, où quatre médiums-exorcistes tentent d’exorciser un esprit malin investi dans le corps d’un « patient », lui-même médium-exorciste. Les entités spirituelles khmères (arak អារក្ស), organisées hiérarchiquement à l’image de la société humaine, impliquent la participation active de la famille élargie et du voisinage. L’analyse met l’accent sur le rôle central de la musique dans le rituel.
Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 2012-2025, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 13 septembre 2025.
SOMMAIRE
Rôle des femmes dans les rituels
Évolution post-rituel du patient
Contexte socio-économique et pérennité des rituels
Sujets connexes
> La fresque de l'ensemble arak du Vat Reach Bo
> Viêt Nam - Danses de possession des Quatre Palais
Dans la religion populaire khmère, les maladies attribuées à des causes surnaturelles occupent une place centrale, et les cures magiques, menées par des médiums-exorcistes (rūp រូប), constituent une réponse traditionnelle. La non-efficacité des premiers soins conventionnels — de médecine occidentale — conduit souvent à suspecter une origine surnaturelle, comme une possession par un esprit malin arak* អារក្ស. Si les maladies « naturelles » peuvent être traitées par des procédés magiques, ce n’est pas le cas pour les maladies dites « surnaturelles ». (Chouléan, 1986, p. 23).
Cette étude, accompagnée d’une série de vidéos, documente un rituel filmé le 15 janvier 2012 dans le village de Faen Pon Luong, près de Kampot. Elle compile des observations ethnographiques avec une analyse approfondie du rôle de la musique dans le rituel, intégrant des perspectives sur l’interconnexion des entités spirituelles et les soins spirituels/énergétiques. L’absence de consensus rationnel sur ces phénomènes permet une pluralité terminologique, évitant une approche cartésienne restrictive.
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* Les arak អារក្ស (du sanskrit ā-rakṣa, « protection ») sont des entités spirituelles ambivalentes qui occupent une place importante dans le système de croyances
animistes et brahmaniques traditionnelles du Cambodge. Ils sont généralement associés à des âmes errantes, des esprits non apaisés ou des entités issues de morts violentes ou prématurées (mort
accidentelle, suicide, etc.). Ils peuvent aussi incarner des forces naturelles sauvages ou des génies territoriaux non domestiqués. Ils sont souvent considérés comme responsables de maladies, de
malchance, ou de troubles physiques et psychiques chez les humains. Certains arak peuvent « posséder » des individus, provoquant des états de transe, des comportements étranges ou des
souffrances durables. Ils exigent des offrandes (nourriture, alcool, musique) et des rites d’apaisement pour quitter ceux qu’ils hantent. Les arak sont invoqués, négociés ou chassés lors
de cérémonies dirigées par des médiums-exorcistes (rūp រូប). Des offrandes spécifiques leur sont destinées (nourriture crue, riz non cuit,
alcool), distinctes de celles offertes aux esprits bienveillants. La musique (phleng arak ភ្លេងអារក្ស) et les danses rituelles sont utilisées pour les attirer, les apaiser ou les
expulser. Les arak se distinguent des esprits bénéfiques ou protecteurs (neak ta អ្នកតា, tevodā ទេវតា) et des ancêtres vénérés. Ils appartiennent au monde « sauvage »
(prei ព្រៃ), par opposition à l’espace domestiqué et civilisé (srok ស្រុក). Ils représentent les peurs, les incertitudes et les déséquilibres (santé, social, environnemental) au
sein de la communauté. Leur existence justifie le recours à des pratiques magico-religieuses conduites par des rūp.
En résumé, l’arak incarne une force spirituelle ambiguë, à la
fois crainte et respectée, qui reflète la complexité des rapports entre le monde visible et invisible dans la cosmologie khmère.
Les enregistrements vidéo ci-dessous, réalisés à des fins de documentation et de recherche ethnographique, sont mis à la disposition de la communauté scientifique pour des études ultérieures. Le rituel a été capté dans sa quasi-intégralité au moyen de deux caméras haute définition, garantissant une qualité visuelle et sonore optimale pour l'analyse détaillée des séquences rituelles. Compte tenu de l'ampleur et de la durée substantielle de la cérémonie, celle-ci a été segmentée en six parties distinctes afin d'en faciliter l’étude systématique :
1. Préparation des offrandes ;
2 à 5. Interventions individuelles de chaque médium-exorciste ;
6. Cérémonie conclusive.
Cette division respecte la structure narrative et ritualistique du chol rūp (ចូលរូប), tout en permettant une approche analytique modulaire des différentes phases de la performance cérémonielle. Vous trouverez, en Annexes, un bref descriptif chronologique des séquences 2 à 6.
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Nos remerciements vont à la famille du patient M. Vou, son fils Vou Thip alias Chico, sa famille, les médiums-exorcistes, les musiciens et l'ensemble des personnes présentes lors du rituel.
Vidéos en cours de publication
Préparation des offrandes
Intervention rūp 1
Intervention rūp 2
Intervention rūp 3
Intervention rūp 4
Cérémonie conclusive
Un homme, médium-exorciste traditionnel (rūp), est atteint d’une maladie attribuée à des esprits malins. Face à sa souffrance persistante, sa famille et le conseil des anciens du hameau organisent une cérémonie pour tenter de restaurer sa santé, en invitant quatre autres rūp issus du cercle relationnel.
Le terme rūp signifie « monture » ou « figure, forme » en khmer, désignant des pratiquants servant de réceptacle à des entités spirituelles identifiées. Lors de la cérémonie, le rūp possédé est perçu comme l’entité elle-même par l’entourage, composé d’assistants, de la famille et du voisinage. Les rūp exercent une double fonction : exorcistes, en chassant les entités maléfiques des patients, et médiums, en transmettant les paroles des esprits.
Le patient, âgé d’une cinquantaine d’années, présente des symptômes évoquant une profonde dépression en termes occidentaux : prostration et mutisme. Ancien commerçant aisé, il transportait des volailles vers la Thaïlande par mer, une activité risquée, marquée par des pertes dues aux aléas climatiques. Selon des témoignages familiaux, il est devenu rūp après le décès d’un aîné, héritant de ses entités spirituelles. Une croyance locale attribue aux rūp une particularité anatomique : une veine passant au-dessus de la proéminence de l’ulna. Les explications de sa maladie incluent des difficultés financières, reflétées dans une berceuse traditionnelle chantée par son épouse (vidéo disponible ici) :
« Ô ma chère enfant ! Essaie de dormir. Ainsi, plus vite tu grandiras. Ô mon enfant, ne pleure pas. Aie pitié de moi. Ta maman travaille. Elle est si fatiguée. Depuis sa tendre enfance, jamais elle ne se repose. Je m'inquiète tout d'abord parce qu'il n'y a pas suffisamment à manger. Ô ma chère enfant ! Je m'inquiète aussi car il faut gagner de l'argent pour payer les taxes. Il y en a de plus en plus. Tout devient de plus en plus difficile. Les taxes augmentent. Je suis si endettée que je ne sais plus comment faire. »
Le diagnostic spirituel suggère que l’entité investissant le patient aurait dû posséder une autre médium, une erreur rituelle potentiellement à l’origine de sa maladie. Dans les traditions khmères, comme dans d’autres en Asie du Sud-Est, devenir rūp suit souvent une « maladie-épreuve », diagnostiquée par un autre rūp, qui propose au malade de servir les esprits pour guérir, assurant ainsi la continuité des lignées de médiums-exorcistes.
La communication avec le monde des esprits est omniprésente dans les pratiques des Cambodgiens, incluant les Khmers (ethnie majoritaire) et les minorités ethniques. Ces pratiques reposent sur un fonds culturel autochtone enrichi par le bouddhisme et, dans une moindre mesure, le brahmanisme, religion du pouvoir dans l’Empire khmer jusqu’au XIVe siècle. L’univers spirituel est peuplé de fantômes, d’âmes errantes, d’ancêtres, d’entités bénéfiques ou maléfiques, d’animaux mythiques et de divinités hindou-bouddhiques.
Ces entités sont organisées hiérarchiquement, à l’image de la société humaine, avec des fonctions spécifiques. Cette structure hiérarchique varie selon les croyances (animiste, bouddhique, hindou-bouddhique ou mixte). Un « commerce » spirituel s’établit à travers des offrandes préalables (pour solliciter) et de reconnaissance (post-guérison), soulevant des questions sur la nature de ces échanges : don ou forme de négociation ?
Un mythe khmer rapporté par Chouléan (1986, p. 47) relate l’origine des rites de possession. Des enfants gardiens de buffles, festoyant joyeusement dans la forêt, attirent des esprits de défunts qui possèdent l’un d’eux, promettant de protéger les troupeaux en échange de festins réguliers. Ces esprits commencent à rendre les villageois malades pour obtenir des offrandes, offrant des guérisons via des possessions accompagnées d’un orchestre. Ce système s’étend aux dignitaires et au roi, qui, guéri par un enfant possédé, institue le culte des arak. Les gardiens deviennent rūp, et les guéris, leurs disciples. Ce mythe illustre le lien entre musique, possession et guérison, où les esprits exigent des offrandes matérielles (nourriture, vêtements) et immatérielles (musique) pour intervenir.
La musique occupe une place centrale et active dans le rituel de guérison, bien au-delà d’un simple accompagnement. Selon Rouget (1980), si elle n’induit pas directement la transe, elle en amplifie les effets et en soutient le déroulement. Son rôle est multiple et structurant.
Sur le plan magique et spirituel, elle fonctionne comme une offrande immatérielle (tanvay តន្វាយ), au même titre que les nourritures ou les objets rituels, destinée à flatter les sens des entités invisibles. Les tambours skor arak ស្គរអារក្ស, dont le rythme binaire (to-tho តូ-ថូ, tu-tam ទូ-តាំ) épouse les gestes des médiums — cris, danses, onctions — facilitent l’invocation et l’expulsion des esprits. L’accélération du rythme lors des affrontements symboliques crée une tension scénographique propice à l’identification de l’entité concernée. Ces instruments, considérés comme réceptacles d’esprits bienveillants, font l’objet d’un traitement ritualisé : fabrication soumise à des prescriptions strictes (offrandes à Preah Pisnokar ព្រះពិស្ណុការ, interdits), emplacement sur un autel dédié, et respect absolu — il est notamment interdit de s’y asseoir. La musique exprime également la tension symbolique entre forces « sauvages » (entités malveillantes) et « domestiques » (esprits protecteurs), servant de médiation entre visible et invisible, comme en témoignent les récits étiologiques khmers.
Sur le plan social, la musique assure une fonction de cohésion collective. Elle fédère la parenté et le voisinage au sein d’une thérapie communautaire, instaurant une atmosphère conviviale — conversations, repas partagés, rires — qui transforme le rituel en moment de solidarité. Le chanteur (rienn រៀន) y joue un rôle crucial : il relaie les demandes des médiums, annonce les offrandes et les chants spécifiques, et marque le début et la fin des épisodes de possession.
Enfin, la musique remplit une fonction narrative et structurante essentielle. Elle rythme l’intégralité de la cérémonie — qui s’étend sur une journée après une nuit de préparation — et assure les transitions entre ses séquences principales : invocations (tempo lent), possessions (rythme accéléré) et exorcismes (intensité maximale, cris, danses). Par ses variations rythmiques et mélodiques, elle souligne les phases ritualisées et informe l’assistance de la nature des événements en cours, guidant ainsi l’expérience collective autant qu'individuelle.
La musique, jouée par un orchestre traditionnel plenh arak ភ្លេងអារ៉ាក់, est un élément central du rituel chol rūp ចូលរូប ou kru chol គ្រូចូល. Composé d’un chanteur, d’un joueur de vièle bicorde tro ត្រូ et de deux joueurs de tambours en gobelet skor arak ស្គរអារ៉ាក់, l’orchestre est positionné près des médiums et du patient, sous une tente près de la maison familiale. Non amplifiée, contrairement aux cérémonies profanes, la musique crée un espace intime favorisant l’interaction avec les participants (famille, voisins, assistants).
L'orchestre est composé d'instruments aux fonctions précises :
Les formules chantées appelées sne ស្នេ occupent une place cruciale dans le rituel. Le terme sne (ou sneh ស្នេះ) signifie à la fois « charme », « enchantement » et « amour », ce qui reflète bien leur fonction multiple. Ces chants ne sont pas de simples mélodies mais de véritables outils magiques actifs. Leur but premier est d’attirer l’esprit, comme un aimant qui tire une force invisible vers le médium. Le texte précise ainsi que le musicien « lance un charme aux esprits » (tak' sne(h) khmoc តាក់ស្នេះខ្មោច). Les paroles des invocations guident également l’esprit, lui indiquant le chemin et lui promettant un accueil digne de son statut, comme dans cette formule : « J’allume la bougie qui est dans le tok តុក. Alors venez sans tarder, ô Maître ! ». La pratique du sne est cependant marquée par une forte ambivalence morale. Elle peut servir à attirer la bienveillance d’un esprit guérisseur et contribuer ainsi au rétablissement du malade, mais elle peut aussi être détournée à des fins néfastes, par exemple pour rendre une personne follement amoureuse contre son gré. Cette ambiguïté rejaillit sur le musicien et le ritualiste, qui manipulent une puissance dont l’usage oscille entre guérison et envoûtement.
Dans la culture khmère du Cambodge, la danse joue un rôle central et multifonctionnel dans les cérémonies dédiées aux esprits arak, qui sont des entités surnaturelles souvent perçues comme malveillantes ou ambivalentes, associées à des âmes errantes ou à des forces naturelles sauvages. Ces rituels, tels que le lieng arak ou le chol rup, sont des pratiques animistes de guérison et d'apaisement, où la danse n'est pas un simple divertissement mais un élément essentiel pour interagir avec les esprits, faciliter la possession et restaurer l'équilibre cosmique et social. Elle est indissociable de la musique (phleng arak), qui accompagne et amplifie ses effets, créant une synergie entre corps, esprit et communauté. Voici une synthèse des principaux aspects du rôle de la danse, basée sur des sources ethnographiques et anthropologiques.
La danse dans ces cérémonies émerge principalement lors de la possession des médiums-exorcistes (rup), qui servent de "monture" aux arak. Lorsque l'esprit descend et prend possession du corps du médium, celui-ci se met souvent à danser de manière spontanée et expressive, imitant les mouvements de l'entité invoquée. Cette danse symbolise la manifestation physique de l'arak, permettant à l'esprit de "s'amuser" (len sappay) ou d'exprimer ses exigences, comme des offrandes ou des révélations sur la cause d'une maladie. Par exemple, dans les rituels de guérison, la danse aide à diagnostiquer les troubles surnaturels, tels que des possessions causant des maladies psychosomatiques, et facilite l'expulsion de l'esprit maléfique par des gestes rituels (cris, onctions, manipulations d'objets comme un sabre ou une badine). Elle crée une "tension scénographique" qui engage la communauté, transformant le rituel en une thérapie collective où famille et voisins participent activement.
La musique phleng arak, jouée par un orchestre composé d'instruments comme la vièle bicorde (tro), le hautbois à anche large (pei a) et les tambours en gobelet (skor arak), est indissociable de la danse. Elle structure le rituel en marquant les phases : rythmes lents pour les invocations initiales, accélérés pour induire la transe et les danses possessives. Les tambours, considérés comme sacrés et abritant des esprits, suivent la gestuelle du médium, ponctuant les mouvements pour attirer, apaiser ou chasser l'arak. Cette intégration renforce le rôle spirituel de la danse, qui n'induit pas la transe mais l'amplifie, selon les analyses ethnographiques (Rouget, 1980). Dans les mythes d'origine des possessions, comme celui rapporté par Ang Chouléan (1986), les esprits demandent explicitement un orchestre et des danses pour guérir, liant la danse à l'échange avec le surnaturel.
Sur le plan symbolique, la danse représente l'interconnexion entre le monde visible (humains, société domestiquée ou srok) et invisible (esprits sauvages ou prei). Elle incarne les peurs et déséquilibres communautaires – maladie, malchance, offenses aux ancêtres – et sert de catharsis pour rétablir l'harmonie. Contrairement aux danses classiques khmères (comme l'apsara ou le ballet royal, destinées aux cérémonies royales et divinités bienveillantes), la danse dans les rituels arak est plus folklorique, improvisée et villageoise, souvent exécutée par des femmes médiums en milieu rural, où elles jouent un rôle passif de réceptacle spirituel (Chouléan, 1986). Elle renforce la cohésion sociale, validant culturellement la guérison et prévenant les troubles futurs par des offrandes rituelles.
En résumé, la danse dans les cérémonies arak est un outil magique et thérapeutique : elle manifeste l'esprit, facilite la communication et la négociation, et contribue à la guérison psycho-spirituelle en mobilisant les forces collectives. Persistant en milieu rural malgré la modernisation, elle reflète la complexité de la cosmologie khmère, où le corps dansant devient un pont entre le profane et le sacré.
La musique joue un rôle musicothérapeutique spécifique dans le contexte animiste khmer. Plutôt que de parler d’effet placebo, l’étude préfère le terme « mobilisation des forces de guérison du patient », qui reflète les processus psychologiques et sociaux à l’œuvre. Comme le note le sophiste grec Gorgias, la parole (et par extension la musique) peut surpasser les soins médicaux traditionnels. Les études occidentales sur l’effet placebo confirment qu’un rituel, par sa charge émotionnelle et collective, modifie l’état de santé physique ou mentale, apaisant les symptômes via la présence des praticiens et le cérémonial.
Dans ce rituel, la musique, combinée à la présence des médiums, assistants, famille et voisins, renforce la croyance du patient en la guérison. Les rythmes accélérés lors des exorcismes et les chants de louange créent une catharsis collective, réduisant potentiellement l’anxiété ou la dépression. Cette mobilisation des forces intérieures s’inscrit dans une vision holistique, intégrant corps, esprit, principes vitaux pralung ប្រលង្គ et communauté.
Dans le rituel khmer, la musique agit comme un catalyseur, facilitant le rééquilibrage des « principes vitaux » (pralung ប្រលង្គ). L’orchestre, en flattant les esprits, permet d’apaiser ou de chasser les entités maléfiques, restaurant l’harmonie. Cette dimension énergétique, bien que non expliquée rationnellement, est perçue comme efficace par les participants, comme en témoignent certaines études sur la prière et la rémission des maladies
Guillou (2001) souligne que les paysans privilégient les soins traditionnels, dont ils maîtrisent les coûts, contrairement aux dépenses hospitalières imprévisibles. Le corps médical moderne intimide, et les frais annexes (déplacements, subsistance) dissuadent, même avec une prise en charge par des ONG. Les thérapies traditionnelles incluent des remèdes phyto-thérapeutiques, chimiques (médicaments à l’unité) ou magiques, comme le rituel chol rūp.
Chouléan (1986, p. 301) note la prépondérance des femmes comme médiums en milieu rural, où elles jouent un rôle passif, servant de réceptacle pour les esprits lors des possessions ou des pratiques divinatoires (pūl ពូល). La future médium est choisie par l’entité spirituelle, sans apprentissage formel, et son aptitude est testée lors d’événements comme une éclipse lunaire.
Le patient est décédé en 2015 sans amélioration notable, ne s’alimentant plus. Comme en médecine conventionnelle, les rituels magiques acceptent l’échec, lié à la volonté du patient ou aux limites des pratiques.
En 2025, la société rurale cambodgienne représente environ 74 % de la population, et le Cambodge se classe au 95e rang mondial pour son PIB nominal (IMF, 2025). La faible redistribution de la richesse et l’absence d’une classe moyenne maintiennent une vie en quasi-autarcie, avec des technologies proches des bas-reliefs angkoriens du XIIe siècle. Bien que le Cambodge soit officiellement bouddhiste Theravadin, les pratiques animistes demeurent vivaces. Ces croyances, ancrées dans une logique « néolithique » au service de la riziculture artisanale, priment sur une rationalité occidentale. Les rituels perdurent en raison de la rareté des soins modernes, des coûts prohibitifs et de la prégnance des croyances, mais leur disparition pourrait accompagner l’exode rural, l’avancée technologique et le développement économique.
La société khmère opère dans deux dimensions : humaine et spirituelle. Les entités spirituelles, conçues à l’image des aspirations humaines, nécessitent des offrandes matérielles (nourriture, vêtements) et immatérielles (musique) pour agir bénéfiquement ou apaiser leurs nuisances. Les possessions bienfaisantes permettent la communication via les rūp, tandis que les possessions néfastes requièrent des exorcismes. Les troubles, d’origine sociétale, impliquent les communautés humaine et spirituelle. Les rūp, souvent d’anciens malades ayant surmonté une « maladie-épreuve », sont des intercesseurs essentiels. La musique, au cœur du rituel, joue un rôle musicothérapeutique en mobilisant les forces de guérison du patient, fédérant la communauté et structurant l’interaction avec les esprits. Ce rituel illustre une approche holistique de la guérison, complémentaire à la médecine moderne, dans une société où croyances et pratiques traditionnelles restent vivaces.
Annexes en cours de publication