Une relation privilégiée avec Émile Gsell


MAJ: 3 décembre 2023


Émile Gsell est le premier à photographier les musiciennes et actrices du Palais royal du Cambodge à Phnom Penh dans les années 1866-70. On connaît peu de choses de lui, mais grâce à une minutieuse recherche, avec son aide depuis le “séjour des ancêtres” et celle de ses descendants, quelques éléments complémentaires viennent enrichir notre connaissance.

Dans la carrière d’un chercheur, il est parfois de belles histoires, des miracles même ! L'histoire que je (Patrick Kersaléraconte dans ce chapitre est totalement incroyable, et pourtant, tous les faits rapportés sont authentiques. Si j'ose aujourd'hui (juillet 2020) les publier, c'est que ma vie de chercheur connaît des rebonds et des découvertes inattendues sur le plan méthodologique. La physique quantique commence aujourd'hui à expliquer ce que d'aucuns considéraient jusque-là du domaine de l'ésotérisme : le passé, le présent et le futur ne sont qu'une illusion…


Prémices à une rencontre

En février 2012, je trouve sur le Net une ancienne photographie d’une joueuse de chapei (ci-après légendée “Joueuse de chapei 1”) prise aux alentours de 1871 par un photographe français du nom d’Émile Gsell. Il s’agit, selon la légende de l’image, d’une musicienne du Palais royal du Cambodge. Puis d’autres images de musiciennes du même photographe s’offrent à moi. Au final, quatre photographies représentent un chapei : deux aux mains de joueuses isolées et deux en orchestre.

Le chapei, désormais appelé Chapei Dang Veng, est un luth à manche long joué au Cambodge et, dans une moindre mesure aujourd’hui, en Thaïlande À cette époque, le chapei n’a pas une importance capitale pour moi. Mon premier contact avec cet instrument remonte aux années 1980. J’habite à cette époque à Paris et le découvre à travers un disque de Kong Nay intitulé “Kong Nay. Un barde cambodgien. Chant et luth chapey” produit par INEDIT et la Maison des Cultures du Monde. La voix de ce musicien me fascine et me marquera à jamais.

Lorsque je viens m’installer au Cambodge en 2012, je suis à dix mille lieux d’imaginer que je rencontrerai un jour le maître Kong Nay ! Dans mon imaginaire, il appartenait à un autre monde, une autre époque. Je n’avais aucune idée de son âge au moment où je l’entendis pour la première fois et ignorais même, en 2012, qu'il était toujours de ce monde.

 

Joueuse de chapei 1
Joueuse de chapei 1
Joueuse de chapei 2
Joueuse de chapei 2


Recherche sur le Chapei Dang Veng

En 2016, le Chapei Dang Veng est inscrit par l’UNESCO sur la “Liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente”. En 2017, l’organisation Cambodian Living Arts (CLA), à travers son département Heritage Hub à Siem Reap, me propose une mission de recherche autour de cet instrument, que j’accepte avec joie. Je propose alors de travailler sur l’histoire, l’organologie et la symbolique du chapei. Puis, en 2018, CLA me propose une prolongation de contrat jusqu’en 2020, que j’accepte de nouveau.


À propos d'Émile Gsell

Émile Gsell (31 décembre 1838 à 9 heures du matin - 16 octobre 1879) est un photographe français né à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin). Il participe à plusieurs missions d'exploration en Asie du Sud-Est dont, pour partie, la Mission d'Exploration du Mékong dirigée par le capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée et Francis Garnier, au cours de laquelle il photographie le temple d'Angkor en 1866.

Fils d'imprimeur sur toile, lui aussi prénommé Émile, et de Marie Catherine Jordy son épouse, sans profession, il s'initie à la photographie lors de son service militaire en Cochinchine. À cette époque, la conscription concerne tous les hommes âgés de 20 à 25 ans pour une durée de 6 ans. En 1858 il commence son service militaire à Saïgon où il apprend la photographie. En 1866, Ernest Doudart de Lagrée l'engage dans le cadre de la Mission d'exploration du Mékong. Du 24 juin au 1er juillet 1866 à 10h00 du matin, il part à Angkor Vat avec ce dernier puis rentre à Saïgon avec ses plaques de verre photographiques. De cette mission (à la laquelle il convient d'ajouter des images prises en Cochinchine), des clichés commentés seront publiés dans un catalogue, “Cochinchine et Cambodge”, offert en 1867 par l'amiral Charles Rigault de Genouilly à Maria Eugenia Palafox Portocarrero y Kirkpatrick de Closburn, plus connue sous le nom d’impératrice Eugénie, épouse de l'empereur Napoléon III. Cet album regroupe quarante-six images d'Indochine dont quatorze d'Angkor Vat (plus un doublon du “Bas-relief de la Grande galerie de la Pagode”). Il est conservé au Metropolitan Museum of Art de New York. Gsell reviendra à Angkor Vat en 1871 selon son graffito autographe d'Angkor Vat et le témoignage de Jean Moura dans son ouvrage “Le royaume du Cambodge - 1883.” ainsi qu'à partir du 23 juillet 1873 avec Louis Delaporte. Il fait ensuite partie de la mission Brossard de Corbigny lors de son ambassade à Huế en 1875. À cette occasion, il visite les Montagnes de Marbre des environs de Tourane (Đà Nẵng). Il voyage au Tonkin à la fin de cette même année puis y retourne l'année suivante pour accompagner le lieutenant de vaisseau de Kergaradec dans sa remontée du Fleuve Rouge, de novembre 1876 à janvier 1877.

Ces expéditions photographiques apportent à Émile Gsell une certaine notoriété. Il reçoit la Grande Médaille de Progrès à l'Exposition universelle de 1873 à Vienne, qui se tient du 1er mai au 31 octobre 1873 et au cours de laquelle il expose deux albums de photographies, l'un intitulé “Ruines d'Angkor” et l'autre aux “Mœurs, coutumes et types des populations annamites et cambodgiennes”. Selon l'ouvrage Cambodia Captured: Angkor's First Photographers in 1860's Colonial Intrigues de Jim Mizerski, Gsell reçoit une autre médaille à l'Exposition Universelle Internationale de Paris en 1878. Nous ignorons officiellement si Gsell s'y est rendu, mais “The Straits Times, Overland Journal” de Singapour mentionne, dans sa parution du 22 juin 1878, un passager nommé “Gsell” en provenance de Saïgon et à destination de Marseille sur le paquebot Sindh. Sachant que cette manifestation s'est déroulée du 1er mai au 31 octobre 1878, il est probable qu'il s'agisse d'Émile.

Ses photographies sont commercialisées par Auguste Nicolier, qui vend des produits chimiques et des fournitures photographiques à Saïgon dès 1876.

Émile Gsell meurt à Saïgon le 16 octobre 1879. Il est enterré dans un cimetière de Saïgon détruit depuis. O. Wegener lui succède alors, obtenant et utilisant son stock au début des années 1880, avant de le céder à Vidal (également connu sous le nom de Salin-Vidal) qui le commercialise jusqu'à sa propre mort le 4 décembre 1883.

Plus de 400 de ses photographies sont conservées par le ministère des Affaires étrangères à Paris. Plusieurs institutions nationales et de nombreux collectionneurs privés possèdent des tirages originaux. Le musée Guimet conserve les seuls négatifs (plaques de verre) connus d’Émile Gsell, offerts par la Société des amis du musée Guimet, après la proposition d’un particulier qui les avait découverts par hasard sur un chantier de démolition de vieux immeubles marseillais ; ils se trouvaient dans plusieurs petites caisses en bois. Parmi ceux-ci, la célèbre photographie de Doudart de Lagrée et de ses cinq collaborateurs, dont Francis Garnier et Louis Delaporte, assis sur le perron nord de la terrasse cruciforme d’Angkor Vat.


Acte de naissance d'Émile Gsell

N° 413 Émile Gsell

L’an mil huit cent trente-huit, le trente et un du mois de Décembre à onze heure du matin, par devant nous François Henry Marqueur deuxième adjoint, remplissant par délégation du maire en date du vingt septembre de l’année dernière les fonctions d’officier d’état civil de la commune de Sainte-Marie-aux-Mines, arrondissement de Colmar, département du Haut-Rhin, est comparu le sieur Émile Gsell imprimeur sur toile, âgé de vingt-neuf ans, domicilié en cette ville lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin, qu’il déclare être né dans son domicile, maison du sieur François Chenal sise rue du Temple en cette ville, le jour d’hier à neuf heures du matin, de lui déclarant et de Marie Catherine Jordy son épouse, sans profession, âgée de vingt-trois ans, domiciliée en cette ville, et auquel il déclare vouloir donner le prénom de Émile, lesquelles présentations et déclarations faites en présence des sieurs Louis Gsell graveur âgé de vingt-six ans et Nicolas Ancel manœuvre âgé de soixante-quatre ans, domiciliés en cette ville, et ont le père et les témoins signés avec nous le présent acte de naissance après lecture et interprétation.

Suivent les signatures…


Ascendance d'Émile Gsell

Grâce au site de généalogie heredis online et à la patience de ses auteurs, nous pouvons en apprendre un peu plus sur l'ascendance et la collatéralité d'Émile Gsell. Ses parents se sont mariés à Sainte-Marie-aux-Mines le 27 avril 1837 ; son père, lui aussi prénommé Émile, avait 27 ans et sa mère Marie Catherine Jordy, 21. Émile Gsell fils naît huit mois après cette union… On sait également qu'il avait un frère cadet prénommé Charles, né le 15 octobre 1840. Il ne s'est jamais marié.


Rencontre d'un descendant (?) ou collatéral d’Émile Gsell

En décembre 2018, alors que je suis en mission à Luang Prabang, je séjourne dans l’une des très nombreuses guesthouses de la ville, tenue par une famille vietnamienne de Hanoï. Dans le hall d’entrée de l’établissement, face à moi, un Français marié à une Vietnamienne. Lui et moi n'avions pas décidé préalablement de choisir cet établissement, nous y arrivons donc “fortuitement”. La conversation s’engage quand soudain je lui demande : 

— Quel est donc votre nom ? 

— Gsell… Frédéric Gsell.

Ce nom, dont je découvre pour la première fois la prononciation française, résonne en moi. Les seules fois où je l’avais entendu prononcé, c’était par un Australien, Nick Coffill, lors de ses conférences sur l’histoire de la photographie au Cambodge, à Bambu Stage (Siem Reap). Il le prononçait “djézel”. Je fais toutefois instantanément le rapprochement puisque je travaillais, le matin même, sur la photographie de la joueuse de chapei d'Émile Gsell. Je lui demande alors :

— Êtes-vous en lien de parenté avec Émile Gsell le photographe du XIXe siècle ?

— Oui, c’est mon arrière-arrière-grand-père… Il est né à Sainte-Marie-aux-Mines…

Nul doute, par ce détail instantané, qu’il disait vrai.

Il y avait une chance sur mille milliards de rencontrer cet homme à ce moment précis. Serait-ce un téléguidage d’Émile Gsell lui-même depuis l’au-delà ? Cette rencontre ne pouvait être fortuite… C’est alors que commence ma relation avec Émile Gsell, ou tout du moins, que j’analyse comme telle. 


Intentions préalables

Avant même que je ne sois missionné pour une recherche sur le chapei, l’instrument représenté entre les mains de la ”Joueuse de chapei 1” m’avait fasciné par son élégance. Aussi avais-je projeté d’en faire une reconstitution d’après la photographie, que je considérais à l'époque comme suffisamment détaillée, faute de mieux !

En 2014, je pars en Thaïlande, à la frontière du Myanmar, où se trouve un immense atelier de facture instrumentale travaillant notamment pour la Cour royale de Thaïe. Une soixantaine d’ouvriers y œuvrent et produisent des instruments de haute facture. Je commande quatre exemplaires de ce chapei, mais ne verrai jamais la concrétisation de cette commande.

Ma rencontre avec Frédéric Gsell me décide alors à changer de stratégie et me pousse à faire réaliser l’instrument au Cambodge, ce qui a pour moi beaucoup plus de sens car c’est le meilleur moyen, pour les luthiers khmers, de se réapproprier un savoir-faire disparu. Mais la facture d’un tel instrument est complexe et je souhaite le réaliser à Siem Reap où je vis plutôt qu’à Phnom Penh, même si là-bas se trouvent deux fabricants de chapei. Début 2019, je décide de faire réaliser la copie d’un chapei plus récent par Leng Pohy et Thean Nga qui fabriquent déjà les harpes khmères pour Sounds of Angkor. L’un et l’autre n’ont jamais fabriqué un tel instrument mais j’ai confiance en leur capacité d’adaptation et de dépassement. 


Rencontre avec la médium Katia Kolobaeva

En avril 2019, je rencontre pour la énième fois la médium russe Katia Kolobaeva avec laquelle j’ai déjà travaillé dans le cadre de mes recherches. Nous avons rendez-vous au Pain du Cœur sur Taphul Road à Siem Reap. Je lui présente la photo de la “Joueuse de chapei 1” car je souhaite savoir si l’instrument a été fabriqué au Cambodge ou au Siam. Elle me dit :

— Le fabricant était petit, noir, avec de petits doigts.

— Mais a-t-il été fabriqué par un Khmer ou un Siamois, insistais-je ?

— Par un Khmer !

Puis je lui présente une photographie de l’instrument du Musée de la Musique de Paris (ci-après). Elle me dit :

— Il a été fabriqué par une personne différente, aux doigts effilés et blancs. Mais dans le même atelier. Il y a une inscription à l'intérieur… (Cette affirmation sera confirmée lors de mon expertise du chapei au Musée de la Musique de Paris !).

Dans la boutique du Pain du Cœur se trouve un panneau de photographies anciennes, parmi lesquelles est représentée une joueuse de xylophone dont l’auteur n’est autre qu’Émile Gsell. Je demande alors à Katia de tenter de se connecter à Émile et d'obtenir des informations sur lui. Sa réponse ne tarde pas :

— Émile a souffert avant de mourir. Il portait de petites lunettes rondes (comme les tiennes !), était plus grand et plus large que toi. Je vois beaucoup de lumière dans sa personnalité, un homme intelligent. Mais il n’a pas eu la reconnaissance qu’il aurait souhaité pour l’ensemble de son travail. Il t’aide…

Ces éléments méritent quelques commentaires. On sait qu’il est mort des suites de fièvres contractées en Asie du Sud-Est. Il a donc effectivement dû souffrir avant de quitter ce monde. Qu’il fût intelligent ne fait aucun doute puisqu'il a été embauché par Ernest Doudart de Lagrée, le chef de la Mission d'Exploration du Mékong, pour réaliser des photographies de l’expédition. Ce capitaine de frégate, élève de l'École polytechnique s’entourait des meilleurs éléments de chaque discipline. La qualité des photographies d’Émile Gsell et les sujets captés témoignent de son intelligence. Quant à son envergure physique, elle transparaît sur son portrait (voir ci-après).

Une étude complémentaire, basée sur le “chemin de vie” d'Émile Gsell, à partir de sa date de naissance, m'a permis de confirmer l'approche médiumnique de Katia Kolobaeva.

Chapei du Musée de la Musique de Paris
Chapei du Musée de la Musique de Paris

Portrait d'Émile Gsell

Il est écrit sur Internet et dans les ouvrages traitant d'Émile Gsell qu'il n'existe aucune image de lui. À plusieurs reprises, j’ai cherché sur le Web une photographie pouvant correspondre à un éventuel autoportrait ou à l’image anachronique d’un Occidental parmi les populations photographiées par Gsell. 

 

Émile et les archéologues en 1973

Émile Gsell entouré des membres de la “Mission d’exploration des monuments Khmers” à Angkor et d'un moine bouddhiste. Escalier sud. 2e moitié de 1873 . [Coll. privée].
Émile Gsell entouré des membres de la “Mission d’exploration des monuments Khmers” à Angkor et d'un moine bouddhiste. Escalier sud. 2e moitié de 1873 . [Coll. privée].

Le 26 mai 2019, fort de la description de la médium ukrainienne Katia Kolobaeva, d’une photographie du petit-fils d’Émile prénommé Jean-Louis et de ma rencontre avec Frédéric, je tente une nouvelle fois ma chance. Dès les premières secondes, je découvre une photo dont j’ignorais l’existence. Il s’agit d’un groupe d’archéologues occidentaux à Angkor Vat. Il pourrait s'agir de la mission d'exploration des monuments khmers dirigée par Louis Delaporte de 1873. Au premier rang à gauche, un personnage vêtu d’une chemise sombre, alors que tous les autres sont en blanc. Je pense tout de suite qu’il pourrait s’agir d’Émile. Deux éléments abondent immédiatement en faveur de cette intuition : il est au premier rang, les jambes repliées, avec les pieds sur la marche juste au-dessous de lui, prêt à bondir vers sa chambre noire en place puisqu’il n’a rien devant lui. Ici, Émile a déjà fait les réglages de netteté et inséré sa plaque sensible. Il demandé à l'un de ses assistants d'enlever le cache objectif, le temps de l'exposition. Il est déjà prêt à récupérer sa plaque de verre pour la développer dans les meilleurs délais. Le collodion humide n'attend pas, surtout sous ces latitudes ! Par ailleurs, il semble qu’Émile lui-même ait validé mon hypothèse par une synchronicité. En effet, à l’instant même où j’ai cette intuition, mon amie thésarde Marylou C., que j’informe régulièrement de l’avancement de mes recherches, incluant ma relation avec Émile, m’envoie ce message ­par WhatsApp à 13h20 : « Tu as eu la confirmation de ta connexion avec Emile ? ».

Je raconte cette histoire à mon amie psychologue Sylvia M. qui me dit qu’il s’agit bien d’une synchronicité. Le 28 mai, je téléphone à Frédéric Gsell qui me confirme sans hésitation l’air de famille !

 

Émile parmi les archéologues en 1873.

Émile Gsell. 1873.
Émile Gsell. 1873.

Dans le cas où une preuve complémentaire serait nécessaire, la voici. Le 20 mars 2021, je découvre une image inconnue appartenant à un collectionneur privé. Elle semble avoir été prise le même jour que la précédente, mais cette fois-ci, par Émile Gsell lui-même puisqu'il ne figure pas sur l'image. Tous les personnages de la photo précédente y figurent, sauf le moine. On découvre même le propriétaire du chapeau posé sur la marche au premier plan, ainsi que le probable opérateur qui a déclenché la prise de vue sur laquelle figure Émile Gsell ; il pourrait s'agir de l'un des deux garçons de type asiatique avec un chapeau à la main. 

Mêmes personnages que ci-dessus sur la Terrasse cruciforme, à l'exception de Gsell et avec un second assistant qui est probablement celui qui pris la photographie. Photo Émile Gsell. 1873. Coll. privée.

Détail des personnages. 1873.


La Commission d’Exploration du Mékong à Angkor Vat en 1866

En 1866, Émile Gsell immortalise (photo de gauche) six des sept des membres de la Commission d’Exploration du Mékong. De gauche à droite : 

1. Ernest Doudart de Lagrée, chef de la Commission

2. Louis de Carné, attaché au Ministère des Affaires étrangères

3. Clovis Thorel, chirurgien de la marine, chargé de la partie botanique du voyage

4. Lucien Joubert, médecin et géologue

5. Louis Delaporte, officier de marine, archéologue, historien de l'art, dessinateur (et musicien !)

6. Francis Garnier, second de l'expédition, chargé des travaux d'hydrographie, de météorologie et de cartographie. 

Afin de rendre hommage à ce grand oublié de l’histoire, nous nous sommes permis de l’ajouter à cette photo de famille. (photo de droite). Le nombre sept est d’ailleurs faste à Angkor Vat ! 

Commission d'exploration du Mékong par Émile Gsell. 1866.

Commission d'exploration du Mékong au complet avec Émile Gsell. Photomontage “Hommage à Émile Gsell” par Patrick Kersalé.


À gauche, l'Image originale de Gsell prise entre le 24 juin et le 1er juillet 1866 (d'ailleurs probablement le 24 juin ou le 1er juillet car entre ces deux dates, Doudart de Lagrée était à Angkor Thom) sur l’escalier nord de la terrasse cruciforme d’Angkor Vat. À droite, l’escalier photographié en 2021. Un siècle et demi s’est écoulé entre ces deux prises de vue. Les stigmates des pierres étaient déjà présents au XIXe s. À l’arrière-plan, les balustrades à nagas restaurées par l’EFEO et, au premier-plan, un plancher de bois installé par l’Autorité Apsara.


En 1866, Émile Gsell est choisi par Ernest Doudart de Lagrée pour photographier les temples d’Angkor lors d’une mission de huit jours. Nous connaissons avec certitude une partie des photographies réalisées durant cette expédition grâce à un album offert à l’Impératrice Eugénie en 1867, conservé au Metropolitan Museum of Art de New York.

En 2021, Sounds of Angkor part à Angkor Vat sur les traces de cette mission afin de comprendre comment le photographe a opéré, identifie les sites photographiés puis croise les sources : les images d’Émile Gsell et le récit de Francis Garnier « Voyage d'exploration en Indo-Chine ».



Ascendance de Frédéric Gsell

Frédéric Gsell a procuré à Sounds of Angkor le portrait de deux de ses ascendants : Pierre Gsell (1943-), son père, et Jean-Louis Gsell (1882-1972), son arrière-grand-père. 

 

Jean-Louis Gsell (09/01/1882, Lametz-1972), arrière-grand-père de Frédéric en 1918.
Jean-Louis Gsell (09/01/1882, Lametz-1972), arrière-grand-père de Frédéric en 1918.
Pierre Gsell (1943-), père de Frédéric, en 1974.
Pierre Gsell (1943-), père de Frédéric, en 1974.
Frédéric Gsell (1970-) en 2020.
Frédéric Gsell (1970-) en 2020.


Émile Gsell à Angkor Vat

Le 31 juillet 2020, je découvre l'autographe d'Émile Gsell à Angkor Vat après avoir été guidé par une recherche de type akashique, mais sans savoir réellement ce que j'allais découvrir. J'étais passé des dizaines de fois devant sans jamais y avoir prêté attention. Émile avait pourtant choisi un lieu stratégique pour laisser son empreinte puisqu'elle se trouve sur un pilier de l'entrée centrale ouest, rien de moins que l'entrée royale ! Selon l'ouvrage “Explorations et Missions de Doudart de Lagrée” paru en 1883, Gsell explore et photographie les temples sous les ordres de Doudart de Lagrée du 24 juin au 1er juillet 1866 à 10h00 du matin.

Sous le nom E.GSELL (210 x 40 mm, profondeur env. 5 mm) en caractères majuscules se trouvent trois dates : 1866, 1871 et 187? :

  • 1866 : le 8 est difficilement lisible ; en négatif, il apparaît plus clairement. La totalité de la date a été recouverte d'une colle brune ainsi que l'ensemble du graffito sous G.GSELL. Ce même matériau a servi à coller une pierre d'angle lors d'un travail de restauration dans ce gopura (entrée centrale ouest). Il s'agit de 1866. Ils ont fait l'objet d'un rebouchage entre 1866 et 1871. On voit très distinctement les traces du geste de l'ouvrier. Il s'agirait de réparations du temple réalisées par les Khmers avant que l'EFEO ne les prennent en charge à partir de 1907. 
  • 1871 : nous savons avec certitude que Gsell est venu cette année-là, peut-être même deux fois.
  • 187? : le chiffre des unités est incertain. Il est penché, plus petit, en exposant à l'image du 1 de 1871. Il pourrait s'agir d'un 2 ou d'un 3 avorté. Même avec des outils ad hoc, sculpter des courbes aussi petites n'est pas chose facile. Seul un sculpteur aguerri pourrait y parvenir. 
  • Sous cette dernière date, un long graffito (en rose) lui aussi recouvert de colle. Il semble qu'il soit écrit “LI(Y)Z Y GSEL”, les caractères suivants n'étant pas lisibles. Or nous savons par le rôle du Duperré de 1866 à 1868 qu'il y avait un dénommé LUYS dans la commission qui parlait le tagal (aujourd'hui langue officielle des Philippines). Mais à cette époque, l'espagnol était la langue véhiculaire de ce pays. Aussi, le nom LYZ est peut-être un surnom ou une écriture raccourcie du nom de ce personnage. La lettre Y serait alors la traduction espagnole de la conjonction de coordination française ET. Les empattements du E et du L sont similaires à ceux de la version aboutie du dessus. Le G et le S sont moins profonds car il est plus difficile de réaliser des courbes que des droites lorsque l'on est pas sculpteur. Ainsi, en 1866, Gsell (ou Luys ?) écrit avec une pointe de fer ce qu'il peut et Gsell prémédite, lors de son retour en 1871, de recommencer le travail avec des outils mieux adaptés. Nous pensons qu'il trouve alors son précédent graffito, incluant la date de 1866, déjà recouvert.
  • Tout en bas, le autre graffito (en bleu) semble indépendant. Les deux LL sont sans empatement. Ils sont probablement de la même période puisque recouverts avant 1871.

Certaines photographies d'Émile Gsell sont signées de sa main.



Le laboratoire portatif

Émile Gsell (1838-1879) naît en même temps que la photographie (1839). Lors de ses premiers pas à Angkor en 1866, un quart de siècle s'est écoulé. Les procédés ont évolué, mais ce n'est pas encore l'ère du Smartphone ! La technique demeure contraignante. Parmi les contraintes, on notera la taille et le poids du matériel de prise de vue et de développement, des plaques de verre, du papier photographique et des produits chimiques, auxquels il convient d'ajouter la température et l'hygrométrie élevées du Cambodge pour le traitement des épreuves, ou encore les grandes distances à parcourir en bateau, à pied et en charrette à bœuf. Une telle charrette est visible à gauche de l'image ci-contre.

Le 13 août 2020, je découvre sur une photographies d'Émile Gsell, prise à Angkor Vat en 1866, un détail stupéfiant : un laboratoire portatif avec un personnage devant ! De prime abord je ne pense pas qu'il puisse s'agir d'Émile Gsell puisqu'il est supposé prendre les photos. Mais en agrandissant l'image et en inspectant sa position et ses vêtements, je me ravise. Il porte un pantalon blanc et une vareuse d'apparence grise, comme sur la photographie des archéologues (ci-avant). Sa position de jambes n'est pas celle d'un Khmer. J'en déduis qu'il a opéré comme pour l'image des archéologues : il a préparé son appareil, s'est mis en scène et a demandé à un assistant d'ôter le cache objectif, de compter un nombre X de secondes, puis de le replacer. Cette hypothèse a été validée par une synchronicité le 14 août 2020 à 17h22, heure du Cambodge.

Cette photographie a pu être datée avec certitude en la comparant avec d'autres images d'Émile Gsell et de John Thomson qui photographia Angkor Vat quelques mois auparavant, en janvier 1886. La végétation environnante et sur le sommet des tours sont un parfait indicateur. 

Dans son Voyage d'exploration en Indo-Chine, p.16 - Francis Garnier écrit : “Une seconde terrasse, (la terrasse cruciforme - ndlr) plus grande et plus décorée que la première, et supportée par des colonnes rondes élégamment sculptées, termine la chaussée, au-dessus du niveau de laquelle elle s'élève d'environ 3 mètres. A sa gauche, sous. les murs mêmes de l'édifice, sont les logements des bonzes qui desservent l'antique sanctuaire. Auprès de ces logements, sur la même esplanade, est une autre case, construite en bambous comme les précédentes, où viennent s'abriter les pèlerins qu'attire le saint lieu. Ce fut dans cette dernière demeure que nous nous établîmes.” La terrasse décrite est celle auprès de laquelle Gsell a installé son laboratoire. Concernant les maisons, elles sont visibles sur la photographie du laboratoire et sur d'autres encore.

En 1866, Gsell a réalisé plusieurs photographies dans l'environnement immédiat de l'emplacement de ce laboratoire.

Une photographie prise à Angkor Vat en 1866 par le Émile Gsell révèle qu'il développait ses plaques de verre in situ…



Émile Gsell à travers la littérature

Émile Gsell est cité dans les notes des explorateurs qu'il a accompagné.

 

Francis Garnier. Voyage d'exploration en Indo-Chine, 1873. Mission photographique de 1866.

Dans son Voyage d'exploration en Indo-Chine*, Francis Garnier (1839-1873) cite Émile Gsell une fois (hormis les légendes des photographies), p.10 : “Nous avions le temps, avant l'arrivée du Cosmao, d'aller visiter ces fameuses ruines d'Angcor situées à l'extrémité nord-ouest du Grand Lac et dont tant de merveilles nous avaient déjà été racontées par des témoins oculaires. M. de Lagrée, qui travaillait depuis longtemps à en lever les plans, désirait compléter ses travaux avant son départ, et il avait amené avec lui un photographe de Saïgon, M. Gsell, pour lui faire reproduire les parties accessibles des monuments en ruine. Nous ne pouvions faire cette excursion sous un meilleur guide, et l'arrivée à Compong Luong de deux Français, MM. Durand et Rondet, qui venaient d'Angcor et nous en montrèrent quelques admirables dessins, augmenta notre impatience.

*Paris, Librairie Hachette, 1873.

Jean Moura. Le royaume du Cambodge, 1883. Mission photographique de 1871.

Dans son ouvrage “Le royaume du Cambodge”, le lieutenant de vaisseau Jean Moura nomme par trois fois Émile Gsell (orthographié Gzell) et parle également de photographie.

p. 285. “Les trois passages de la cour des portiques à la seconde galerie sont à peu près indescriptibles, mais une excellente photographie de M. Gzell permet d’en saisir l’agencement.

p. 315. “Au milieu, on reconnaît le Buddha assis à l’indienne sur un Naga replié sur lui-même, ayant à sa droite un personnage à quatre bras, et à sa gauche une femme, se tenant tous les deux debout. Nous avons rencontré plus tard à Lovec un sujet absolument semblable et fait dans les mêmes proportions. Il y en a un autre de plus fort modèle dans le Prea-pon d’Angcor-vat que M. Gzell a photographié. Le personnage à quatre bras, qui est à la droite du Buddha, tient dans les doigts des attributs aujourd’hui indistincts. L’une de ses mains gauches touche le coude de Sakia-Muni ; il porte le caleçon rustique des anachorètes, et ses cheveux sont relevés en faisceau à peu près cylindrique au-dessus de la tête. C’est presque toujours ainsi que les artistes khmers ont représenté Vichnou.

L'auteur publie également un dessin de la façade ouest d'Angkor Vat sur lequel on voit, sur la gauche, une cabane. Grâce à ce dessin, on peut officiellement dater la photographie de Gsell de novembre 1871.

 

Dessin d'après la photographie d'Émile Gzell (sic). Chaque détail est respecté, jusqu'à la végétation au sommet des tours.

Photographie originale d'Émile Gsell. Novembre 1871.


Doudart de Lagrée. Explorations et Missions, 1883. Mission photographique de 1873.

Le nom d'Émile Gsell est cité à plusieurs reprises dans l'ouvrage publié en 1883 et intitulé “Explorations et Missions de Doudart de Lagrée, capitaine de frégate, premier représentant du protectorat français au Cambodge, chef de la missions d’exploration du Me-Kong et du Haut Song-Koi”. Le Capitaine de Vaisseau Bonamy de Villemereuil mentionne, dans sa préface, la présence d'Émile Gsell comme membre de l'expédition : “Vers le 1er mai, le futur chef de la Commission vint à Saïgon, et celle-ci fut, enfin, définitivement constituée sous les ordres du capitaine de frégate Doudart de Lagrée. Elle se composa de MM. Francis Garnier, second de l'expédition, Delaporte, Joubert, Thorel et de Carné, et on lui adjoignit comme auxiliaires ou membres de l'escorte : le sergent Charbonnier, le soldat Raude ; les matelots Reynaud, et Mouello ordonnance du commandant de l'expédition; les interprètes Séguin, européen, Alexis Om, cambodgien, Alévy, laotien ; les tagals Luys et Pédro ; un doï et six annamites soldats. Tout ce personnel figure au rôle du Duperré de 1866 à 1868. Il faut ajouter encore le photographe Gsell, qui ne devait pas sortir du Cambodge. C'était en tout vingt-trois personnes.” Il faut comprendre “qui ne devait pas sortir du Cambodge” dans le sens où Gsell ne participerait pas à l'expédition vers le Chine, mais accompagnerait seulement la commission dans les temples d'Angkor entre le 24 juin et le 1er juillet 1866. 

Le rôle de Gsell comme photographe est de nouveau confirmé ici : “Nous avons dit qu'il avait été assisté de M. Loederich pour les levés de plans, de M. Gsell pour les vues photographiques, et nous ajouterons qu'à sa dernière visite à Angkor il était entouré de MM. F. Garnier, Delaporte, de Carné, le Dr Joubert et le Dr Thorel.

À cette époque, les membres de la Mission d'exploration du Mékong découvrent avec fascination les possibilités d'un art photographique encore balbutiant mais déjà performant, en témoigne la qualité des images de l'époque. Gsell est au service de l'expédition et aux ordres de Doudart de Lagrée. Mais Émile Gsell n'est pas seul photographe, les Anglais dament, une fois encore, le pion aux Français. Le photographe écossais John Thomson, de la même génération que Gsell, est venu à Angkor Vat quelques mois plus tôt, en janvier 1866. L'auteur écrit p. LXXIV, LXXV : “Frappé des résultats que les Anglais avaient obtenus de la photographie « que rien ne peut remplacer, » écrivait-il, pas même le crayon, si habile qu'il fût, de M. Delaporte il avait eu soin de demander et il avait emmené le photographe Gsell, qu'il mit à l'œuvre dès son arrivée à Angkor vat, en lui désignant les points utiles à saisir et avec lesquels il était depuis longtemps familiarisé. Gsell prit une série de vues dont nous reproduisons toutes celles que nous avons pu nous procurer.” 


Tentative de reconstitution de l'itinéraire d'Émile Gsell

En cours de rédaction (commencé le 31 mars 2021 à 14h09). Les bonnes volontés sont les bienvenues.

  • 31 décembre 1838 à 9 heures du matin : naissance à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin). Il grandit dans la maison atelier familiale (aujourd'hui détruite) du 19 rue du Temple à Sainte-Marie-aux-Mines.
  • 1858 : embarquement pour Saigon.
  • 1858-1866 : service militaire à Saigon.
  • 5 juin 1866, 12h30, départ de Saigon de la Commission d'exploration du Mékong sur deux canonnières, sous la direction du capitaine de frégate d'Ernest Doudart de Lagrée. À 19h00, poste de Tan An. Le 6, court arrêt à My Tho puis remontée du Mékong. 8 juin après-midi, Kompong Luong (emplacement de l'ancienne cour royale). Le 21 à 20H00, départ vers Angkor à bord de la canonnière 27 à travers le lac Tonlé Sap. Le 28 au soir, la canonnière s’ancre à “l’embouchure de la petite rivière d'Angcor”. Le 23, de très bonne heure, la Commission rejoint la terre sur une barque annamite. Débarquement à 2 ou 3 km du Phnom Krom. Montée et reconnaissance du temple éponyme. 24, route vers Siem Reap puis à dos d'éléphant à Angkor Vat (une heure de marche) jusqu'à la terrasse cruciforme. Photographies à Angkor Vat et Angkor Thom. 1er juillet à 10h00, retour vers Siem Reap à dos d'éléphant, déjeuner chez le gouverneur ; à 12h00 retour en barque vers la canonnière 27 puis navigation jusqu'à Kompong Luong ; arrivée le 2 juillet à la tombée de la nuit. Le 5, départ pour Phnom Penh. Les six membres de l'expédition continuèrent vers la Chine mais Gsell rentra probablement à Saigon puisqu'il n'accompagnait pas la commission vers la Chine.
  • Avril 1870 : selon Terry Bennet, l'ambassadeur d'Espagne en Chine et en Annam, Don Adolfo Patxot y Achával, visite Angkor Vat et figure dans un album dont Gsell a pris tout ou partie des photos. Il est probable qu'il ait accompagné l'ambassadeur lors de ce voyage. La photographie de la Grande esplanade d'Angkor Vat figurant dans l'album “Voyage en Cochinchine” de la BnF et daté de 1870, pourrait avoir été prise à cette occasion.
  • Janvier/mi-Février 1871 : Gsell accompagne probablement le lieutenant Jacques Emmanuel Adhémar de Chaunac-Lanzac et Jules Marcel Brossard de Corbigny dans une mission terrestre de Phnom Penh à Bangkok en janvier et février 1871. Ce voyage a été consigné par Brossard de Corbigny dans : De Saïgon à Bangkok par l'intérieur de l'Indo-Chine, notes de voyage, Janvier-Février 1871. Il est dit qu'un photographe accompagnait l'expédition mais il n'est pas nommé, peut-être du fait d'une certaine condescendance de la part de l'auteur. Gsell n'est qu'un roturier qui, de plus, n'est pas marin. L'auteur a cité à trois reprises le cuisinier Pedro parce que sa vie et son confort dépendait de lui et qu'il était matelot. Il s'en vante d'ailleurs dans son écrit… Cependant, il fait peu de doute que le photographe était Gsell puisqu'il était déjà connu et reconnu par les officiers de marine. Il ne suffit pas, dans ces conditions de voyage d'être un bon photographe, il faut aussi supporter les conditions éprouvantes d'une telle expédition, ce qui limite le choix des personnes. Ainsi : le 4 janvier, départ de Saigon. Le 6 janvier à 3h00, départ de Phnom Penh pour Bangkok avec 68 éléphants. Le 13, arrivée à Oudong (photographies). Le 14 à 4h30, départ d'Oudong. 15 en journée, passage près de Kampong Chnang. Du 15 au soir au 19, village de Babô. Du 20 au 23, Pursat ; photographies de personnages à la demande du gouverneur. Le 25, village siamois de Rasei puis Battambang pendant 6 jours à la mission catholique ; visite du Wat-Ek (Vat Ek Phnom). Le 30, photographie et déjeuner chez le vice-roi ; visite de Banan (Phnom Banan). 4 février, départ de Battambang avec 12 éléphants. Le 6, Ang-Kol-Borey puis Sisophon. Le 12 au soir, premier affluent du Bangpa-Kong. Le 15 à 3h00, sala de Patchim. 19, consulat français de Bangkok. “De Chaunac reste à Bangkok car il tient à rentrer à Saigon par voie de terre, en passant cette fois par le Nord, c'est-à-dire par Prâbat sur le Ménam (Chao Praya), Korat Letamenh, Angkor et l'est du grand lac.” 
  • Novembre 1871. D'après la recherche de Terry Bennett et Édouard de Saint-Ours. Dans une lettre datée du 25 octobre 1871 (et non pas le 26 juillet comme écrit dans le livre de Bennett, Early photography in Vietnam, p. 62 et 64), le gouverneur de la Cochinchine Marie Jules Dupré informe Jean Moura, alors représentant du gouvernement français au Cambodge, des détails d'un voyage qu'il souhaite effectuer au Cambodge le mois suivant. Si l'objectif principal du déplacement était de s'entretenir avec Sa Majesté Norodom, un autre était de se rendre à Angkor. Dupré mentionne, dans sa lettre : “Et maintenant j’en viens à mon voyage : j’ai l’intention d’amener avec la Lily et la Framée une chaloupe. Bigrel, Montjon et mes trois officiers m’accompagneront. Le Directeur de l’enregistrement, M. Bonnet qui dessine fort bien, et M. Gsell le photographe, m’ont demandé à venir, et embarqueront sur la Framée. J’emporterai au moins trois tentes et les provisions bien entendues.” Il semble pertinent de noter que Dupré utilise l'article défini “le” devant photographe comme une évidence, apportant une élément complémentaire pour prouver que GSell était bien le photographe de l'expédition de 1871 à Bangkok et dont le nom n'est jamais cité. C'est peut-être à cette occasion que Gsell grave la date de 1871 et son nom (E.GSELL) en lettres capitales sur un pilier de l'entrée principale ouest d'Angkor Vat (voir plus haut). Jean Moura fait partie de l'expédition dont il relate quelques éléments dans “Le royaume du Cambodge, 1883.” Voir plus bas.
  • 16 septembre 1872 : Gsell réaffirme par-devant les autorités française de Saigon, sa citoyenneté française suite à la défaite de la France face à l'Allemagne. (D'après Terry Bennett, Early Photography in Vietnam).
  • 1873 : expédition à Angkor avec la Mission d'exploration des temples khmers sous la direction de Louis Delaporte. Seconde image de Gsell sur la troisième marche du perron sud-ouest de la troisième enceinte d'Angkor Vat. Il a peut-être ajouté la date de 1873 dont le 3 a été mal sculpté (?).
  • Mars 1874 : Émile Gsell obtient une médaille d'argent, première classe, pour sa photographie à la deuxième Exposition agricole et industrielle de Cochinchine 1874 de Saigon. Courrier de Saigon, 5 avril 1874. (D'après Terry Bennett, Early Photography in Vietnam).
  • Du 4 au 24 avril 1875 : Gsell accompagne Charles Paul Brossard de Corbigny lors d'une mission diplomatique à  Hué, mais le tribunal de la capitale vietnamienne refuse à Gsell le droit d'utiliser son appareil photo. Il réalise toutefois des images en des lieux éloignés du palais impérial.
  • Fin 1875 : voyage au Tonkin : production de nombreuses photos.
  • Novembre 1876 à janvier 1877 : il remonte le Fleuve Rouge, de Hà Nội à Lào Cai, à bord de la canonnière du lieutenant de vaisseau  Alexandre Le Jumeau de Kergaradec. Il réalise de nombreuses photographies à cette occasion.
  • Juin 1878 : embarquement probable sur le paquebot Sindh pour Marseille avec escale à Singapour, destination : l'Exposition Universelle de Paris (?).
  • 16 octobre 1879 : Le décès d'Émile Gsell est mentionné dans le Journal officiel de la Cochinchine française du 1er novembre 1879 (p. 111) : “Le sieur Gsell (Émile), photographe à Saigon, est décédé dans cette ville le 16 octobre 1879. Sa succession a été appréhendée par la curatelle aux biens vacants. Les créanciers et les débiteurs de cette succession sont invités à produire leurs titres ou à se libérer dans le délai d’un mois à compter du 1er novembre 1879.” (d'après Terry Bennett, in Early Photography in Vietnam. Renaissance Books. 2020.)

Émile Gsell et le commerce

Dan Millman, dans son ouvrage “Votre Chemin de Vie” (Octave Éditions, 2010), décrit les 26/8 (combinaison de nombres obtenue à partir de la date de naissance d'Émile Gsell) comme recherchant le pouvoir, l'argent et la notoriété. À son niveau, Émile Gsell a fourni des efforts surhumains pour mener à bien ses différentes “expéditions” photographiques. Il faut bien prendre la mesure de la difficulté et des risques encourus pour voyager sur de longues distances à cette époque. Que Gsell ait recherché une certaine forme de pouvoir ne fait aucun doute. Il n'était pas le seul photographe à Saigon. Il lui a fallu imposer son travail, sa qualité et sa philosophie de la photographie. À travers son travail, il a fréquenté les cercles de pouvoir, notamment la famille royale du Cambodge, les grands mandarins du Vietnam et les autorités coloniales indochinoises. Concernant l'argent, il a eu, selon la recherche de Terry Bennett, consécutivement deux studios photographiques et a emprunté de l'argent au moins à deux reprises. Quant à la notoriété, il n'en a pas manqué puisqu'il a été courtisé pour couvrir photographiquement diverses missions scientifiques et les visites de personnages prestigieux. Il a également été décoré lors d'expositions internationales. Il avait probablement un fort ego (comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement eu égard à l'œuvre qu'il a légué à la mémoire universelle et la difficulté que représentait, à cette époque, la réalisation de telles photographies). Nous savons également, grâce à Terry Bennett, que Gsell passait des annonces publicitaires dans la presse locale. Il a aussi réalisé plusieurs versions de son florilège photographique à usage promotionnel. Sur l'une d'elles figure, au centre, une carte rectangulaire inscrite dans trois casses différentes “GSELL Photographe SAIGON” et quatre autres cartes reprenant ces trois mêmes mots en vietnamien, chinois, thaï et khmer. À cette époque, la langue vietnamienne s'écrit en Chữ Nôm, un système d'écriture fondé sur la graphie du chinois médiéval. On peut aisément comprendre le caractère international du choix de ces quatre langues puisque Gsell est installé à Saigon où vivent des Vietnamiens, des Français, des Chinois (notamment dans le quartier de Cholon - Chợ Lớn), des Siamois et des Cambodgiens puisque le sud du Vietnam appartenait initialement au Cambodge. Il est également remarquable que Gsell ait organisé les cinq langues en quinconce, avec le français au centre, un peu à la manière des cinq tours du temple d'Angkor Vat qui le fascine et figure en exclusivité au bas de l'image. Gsell a également fait imprimer une carte publicitaire au format portrait sur laquelle est inscrit “E.GSELL Photographe À SAÏGON COCHINCHINE” ; il a ajouté ici le E de son prénom suivi d'un point, à l'image de son graffito autographe d'Angkor Vat ; la version française est encadrée par la traduction vietnamienne en Chữ Nôm, similaire à celle dont nous donnons le détail ci-après. On comprend aussi que Gsell soit fier d'avoir été le premier Français à photographier ce temple et qu'il ait eu envie d'y retourner à plusieurs reprises.

 

Florilège photographique avec cinq cartes publicitaires en cinq langues.

Agrandissement des quatre langues hors français.

Carton publicitaire en français et vietnamien.


Traduction des cartes publicitaires

D'après une traduction de Trent Walker (communication personnelle).

Dans le sens des aiguilles d'une montre, en partant du haut à gauche, les quatre Écritures/Langues sont :

1) Écriture : Chữ Nôm / Langue : Vietnamien

2) Écriture : Thai / Langue : Thaïlandais

3) Écriture : Khmer (écriture chrieng) / Langue : Khmer

4) Écriture : Chinois traditionnel / Langue : un dialecte du sud de la Chine, probablement le cantonais. 

Chacune d'entre elles se lit comme suit : "Gsell, photographe [à] Saigon."

Elles mentionnent toutes le nom “Gsell”, “Saigon” et “photographe” avec quelques différences. En vietnamien et en chinois, le “à” est implicite. Il est spécifié en khmer et en thaï. Dans ces deux dernières langues, les restitutions phonétiques sont légèrement différentes de la prononciation vietnamienne méridionale de Sài Gòn (Saïgon). Ces lectures phonétiques ne sont pas utilisées aujourd'hui, car les prononciations du nord du Vietnam sont privilégiées. Ils rendent respectivement “Gsell” par “Nga-Sial” (ងៈសៀល) et “Nga-Siang” (งะเสียง). 

En chinois, la première syllabe du nom “Gsell” est écrite à l'aide du caractère 佢 généralement réservé au cantonais et dont les prononciations dialectales du Sud sont proches de “G” (la prononciation mandarine (Pinyin qu) ne convient pas ici). Le deuxième caractère, 成, appartient également à un dialecte de la Chine du Sud. En prononciation cantonaise, ces deux caractères pour “Gsell” se prononcent keoi5 sing4.

En chinois, on utilise l'ancien nom chinois standard de Saïgon : 西貢.

En vietnamien, on utilise une légère variante du terme sino-vietnamien correct pour Saïgon : 柴棍. 

En vietnamien, le mot pour “photographe” est un peu étrange : 署畫真容 thự hoạ chân rông (bureau pour dessiner des portraits). Cela pourrait s'expliquer par le fait que la photographie est récente et que le terme occidental n'est pas encore popularisé. Gsell réalise probablement des portraits photographiques (assimilés à du dessin) dans son studio de Saïgon.

En vietnamien, le rendu phonétique à deux caractères pour “Gsell” est un peu mystérieux. Le premier caractère est 渠 cừ. Le second s'écrit (亻+ 盈), mais il ne peut être saisi au clavier car il est inexistant, même dans les dictionnaires Chữ Nôm. La prononciation est incertaine, mais ma supposition (basée sur différentes prononciations de 盈) est diềng (avec un son "z" français en vietnamien du Nord, utilisé en vietnamien du Sud pour les termes français également). “Cừ Diềng” est donc une restitution phonétique vietnamienne de Gsell.

Gsell est très actif sur le plan commercial. Il a du savoir-faire sans négliger le faire savoir. De retour de sa mission à Angkor Vat début juillet 1866, il publie, dans le Courrier de Saigon de 1866, cette annonce publicitaire, confirmant par la même occasion qu'il possède un studio (19) rue Rigault de Genouilly. Il met en avant “qu'il est le seul possesseur des grandes et belles vues des ruines d'Ancor”. Une preuve supplémentaire apportée à de son appartenance au 26/8 de Dan Millman : pouvoir, argent et notoriété.



Tentative de définition du profil psychologique d'Émile Gsell

Nous savons, par des études croisées (psychologique, médiumnique, “chemin de vie” à partir de sa date de naissance) qu'Émile Gsell recherchait la notoriété. On pourrait alors être étonné de ne trouver aucun auto-portrait. Nous savons par son “chemin de vie” qu'à la fois il recherchait la notoriété tout en essayant d'y échapper, l'un des nombreux paradoxes de la nature humaine ! Dan Millman écrit, dans “Votre Chemin de Vie” (Octave Éditions, 2010) p. 384 à propos des 26/8 (combinaison de nombres obtenue à partir de la date de naissance d'Émile Gsell) : “Lorsqu'ils sont reconnus, c'est ordinairement pour la qualité de leur travail. Ils peuvent travailler fort pour obtenir gloire et argent mais leur idéalisme naturel n'en continuera pas moins de leur inspirer des sentiments contraires à ce sujet.” Cette mise en scène délibérée de lui-même, vu de dos, auprès de son laboratoire mobile de développement, semble bien être l'une des manifestations de cet ambivalence.


Éléments nouveaux sur la datation de certaines photographies d'Émile Gsell

Deux des problématiques de l'historien sont celles de la preuve et de la datation. Concernant Émile Gsell, nous connaissons avec certitude la date des photographies prises à Angkor Vat lors de sa première mission puisqu'elles figurent dans l'album homogène offert à l'Impératrice Eugénie en 1867. En revanche, sur le site du MET Museum, mêlée aux images de l'album, figure un florilège publicitaire de photographies réalisées par Gsell qui pourrait devenir un faux-ami si l'on n'y prêtait attention. La légende du MET date ce florilège des années 1860 et non de 1866 comme toutes les images de l'album. Or, celui-ci pourrait dater a minima de 1871 voire 1872.

L'image ci-contre, dont il a déjà été question plus haut, comporte deux musiciennes appartenant à ce que nous appelons la Première Série. Les images d'Angkor Vat figurant au bas de l'image sont celles prises en 1866. Il est donc probable que les photos de ces deux musiciennes datent de la même période. 1866 est l'année où le roi Norodom quitte Oudong pour s'installer à Phnom Penh.

Florilège de 1866 (?)


Florilège de 1871-72 (?) ou, selon Terry Bennett, 1875

Le florilège ci-contre provient du site du MET Museum. Il comporte une musicienne, un orchestre et des instruments musicaux photographiés dans un même temps au Palais royal de Phnom Penh. Si l'orchestre appartient à la Première Série, la musicienne jouant de la vièle et les instruments appartiennent à ce que nous nommons la Seconde Série. Ce florilège comporte également une photographie d'Angkor Vat qui n'a pas été prise en 1866 car la cabane sur la gauche n'existait pas lors de cette mission. Or nous savons que Gsell est retourné à Angkor Vat en 1871 et que l'inauguration du Palais royal de Phnom Penh eut lieu cette même année. Nous avons également mis en valeur la salle du trône de l'ancien Palais royal d'Oudong où Gsell a réalisé des photographies en 1871. On peut alors penser que les images bordées de vert pourraient dater de cette époque.



Sur les traces d'Émile Gsell

Nous avons consacré une série de courtes vidéos à Émile Gsell, en voici la compilation.

La Commission d'exploration du Mékong à Angkor Vat

Retour vers le futur

Le secret de la chambre noire

 

Les musiciennes du roi Norodom

1866 - Angkor Vat, première mission

 



Autres articles de ce site en relation avec Émile Gsell


Liens


Sans eux, cette page n'aurait jamais existé…

Émile Gsell, Frédéric Gsell et sa famille, Édouard de Saint-Ours, Terry Bennett, Nick Coffill, Université Côte-d'Azur, Bibliothèque Nationale de France, Musée Guimet, Metropolitan Museum of Art, Virtual Saigon, Artnet… et les auteurs du XIXe s.