Danses folkloriques


MAJ : 3 décembre 2023


Introduction

L'expression “danse folklorique” naît en France entre la Première et le Seconde Guerre mondiale sur le modèle anglo-saxon de folk danceArnold Van Gennep définit le premier, en 1924, le folklore dans la sphère culturelle francophone comme la “science du peuple”. Étymologiquement, “folk” vient du germanique peuple (provenant du latin vulgus) et “lore” du saxon connaissance (cf. allemand lehren et anglais learn).

Suivant le mouvement folk à partir des années 1960, la terminologie s’est progressivement déplacée vers “danse folk”, le vocable “danse folklorique” désignant plutôt la pratique des groupes d’arts et traditions populaires (ou groupes folkloriques) qui valorisent le répertoire au travers de spectacles chorégraphiés, exécutés en costumes traditionnels et décrivant généralement des scènes de la vie de l’ancienne société traditionnelle. Ce concept prend corps au Cambodge à partir de 1965 avec la création de l'Université Royale des Beaux-Arts (សាកលវិទ្យាល័យភូមិន្ទវិចិត្រសិល្បៈ - URBA) à Phnom Penh afin de compenser la disparition progressive des danses et traditions populaires. 

La folklorisation repose sur un choix politique auquel la presque totalité des nations du monde a accédé. Au Cambodge, elle est essentiellement un outil de promotion culturelle locale car éclipsée à l'international par l'éblouissant Ballet royal du Cambodge, classé par l'UNESCO. Toutefois, les Khmers des diasporas des divers pays du monde où ils sont établis depuis les années 1970 utilisent les danses folkloriques et la danse Apsara créée par la reine Sisowath Kossamak pour promouvoir leur identité culturelle. Deux types de danses folkloriques ont été créées au Cambodge : 

  1. Celles qui s'inspirent d'une tradition paysanne ou ethnique ancestrale.
  2. Celles de pures création, nourries par des gestes de la vie quotidienne, des traditions ou des idéaux.

Depuis quelques années, à travers le Cambodge, diverses troupes, continuent de créer des danses et des spectacles inspirés du glorieux passé de l'Empire khmer. Toutefois, sans aval politique, ces créations n'accèdent pas au rang de “danse folklorique” labellisée par le Ministère de la Culture et des Beaux-Arts et enseigné à l'URBA.

Nous présentons ci-après, lorsque perdurent des traditions, à la fois la “danse source” et sa version folklorisée.


Danses folkloriques inspirées par une tradition

Dans son ouvrage de 2006, “Danse classique khmère, Folklore khmer, Lakhon, Musique khmère”, Sakou Samoth met en lumière la méthodologie employée par les responsables du département de la danse dans les années 1960 pour collecter, créer et légitimer les danses folkloriques :

1) Prospection. Le Cambodge est systématiquement fouillé et toutes ses manifestations folkloriques populaires traditionnelles sont inventoriées. 

2) Etude. Prenons l'exemple d'une danse, qui aurait été récemment découverte, et présenterait un particulier intérêt. Une équipe de recherche se rend sur place, enregistre dans tous ses détails les mouvements et la musique par dessin, photographie, et bande magnétique. Elle entreprend une enquête approfondie sur les données écologiques : milieu géographique, ethnique, économique, linguistique et culturel. 

3) Reconstitution. Après étude des documents rassemblés, des danseurs et des moniteurs se rendent à leur tour sur place pour apprendre les mouvements des paysans eux-mêmes. Puis, à Phnom Penh, ils en font une adaptation susceptible d'être présentée sur scène. 

4) Mise à l'épreuve. La danse entièrement remontée est présentée devant le public du village, dont on guette attentivement les réactions. Elle ne sera adoptée que si ces spectateurs lui donnent leur adhésion totale, et manifestent par leur attitude qu'ils s'y retrouvent entièrement. La conduite de cette méthode exige beaucoup de tact et de connaissance de la psychologie paysanne. Il ne faut choquer à aucun moment les habitudes de pensée et de vie des villageois, nos maîtres, et préserver à tout prix leur enthousiasme. S'il devait arriver que, découragés devant nos résultats, ils abandonnent leur tradition, nous aurions complètement échoué. Si par contre ils en acquirent un surcroît de fierté, si cela les aide à prendre conscience de la valeur de leur passé, alors la partie aura été gagnée. 

 

La danse des paons de Pailin

L'ethnie Kola, d'origine birmane, vit dans la région de Pailin depuis environ un siècle, attirée par les pierres précieuses qu'elle extrait du sous-sol. Au Cambodge, les Kola sont les dépositaires originels de ladite “Danse du Paon”.

En 1965, les professeurs Chheng Phon et Pol Som Oeurn la re-chorégraphièrent afin de diversifier la vitrine culturelle du Cambodge. Interprétée jusqu'en 1975, puis réintroduite en 1979, elle est aujourd’hui enseignée par le département de la danse de l’Université Royale des Beaux-Arts (RUFA) sous le nom de “robam kngork Pailin របាំក្ងោកប៉ៃលិន”.

Selon un document des années 1960 du département du Ministère de la Culture et des Beaux-Arts, la danse originelle ne comportait qu’un seul paon et n’était exécutée que durant les festivités du Nouvel An khmer. Elle exprimait alors l'âme culturelle de l’ethnie Kola. Par la suite, les chorégraphes l'organisèrent autour de deux paons. Si certains y voient un mâle et une femelle se faisant la cour, l'éthologique incline plutôt à penser qu'il s'agit plutôt d'un combat. Les deux costumes et le sexe des danseurs ne sont d'ailleurs pas différentiés. 

Elle est aujourd’hui dansée devant les parterres de touristes internationaux et lors des fêtes du calendrier khmer. 

Nous proposons ci-après deux versions de la danse du paon. L'une en situation cérémonielle, l'autre pour la scène.

Cette danse des paons de Pailin a été exécutée le 12 octobre 2020 au Wat Aranh Sakor (Siem Reap) lors de Kathina (កឋិន), une cérémonie propre au bouddhisme Theravada. Elle se déroule à la fin de la retraite monastique annuelle, en octobre-novembre. Les laïcs offrent aux moines des robes et tout le nécessaire pour la vie monastique. On voit ici le couple de paons prendre part à la procession et à la circumambulation dextrogyre autour du temple (vihear). Les artistes ont dansé sur le parvis du temple, en fin d'après midi, après que les dévots y sont rentrés pour prier avec les moines.


Cette version très léchée de la danse du paon de Pailin a été filmée sur la scène de Cambodian Living Arts, dans l'enclos du Musée National du Cambodge, le 7 mars 2020. Les artistes, encadré par les meilleurs chorégraphes du pays, sont des professionnels du spectacle formés à l'URBA. À cette époque — et jusqu'à la pandémie de COVID-19 — ils se produisaient six jours par semaine devant un parterre de touristes internationaux.


Danse trot “source”

Au Cambodge, la danse trot (robam trot របាំទ្រុត) est à la fois une “danse source” d'origine mon-khmère, et une danse folklorique adaptée à la scène par les Khmers. Dans sa version originale, elle semble encore dansée par les Samre, Suoy, et Por. Il s'agit d'une danse propitiatoire exécutée durant le Nouvel An khmer, à l'image de la danse de la licorne des Chinois, puisque les artistes évoluent de commerce en commerce pour glaner quelque obole. Cette séquence a été tournée lors du Nouvel An khmer de 2017 dans le centre de Siem Reap. 


L'orchestre se compose de chanteurs, d'une paire de percussions kancha, de deux tambours skor day, d'une vièle bicorde tro et de trois paires de claquettes en bois krap. Le chant est en khmer et comporte des onomatopées sans significations. 

Éveline Porée-Maspero, dans son “Etude sur les rites agraires de Cambodgiens” (p.207 et suivantes), rapporte des éléments observés par elle-même dans les années 1940 et d'autres qui lui ont été rapportés. Nous nous cantonnerons ici à rapprocher ce qui peut l'être concernant Siem Reap afin documenter notre séquence vidéo. Elle écrit : “Le trot (…) est la représentation ambulante de la mise à mort d'un cerf par deux personnages masqués, représentation combinée avec une quête. A Siem Reap, les troupes des différents villages environnants viennent quêter. Elles se rendent ensuite à Angkor Vat, où elles miment le drame en offrande au Buddha, sont bénies par les bonzes, et terminent leur randonnée au bord du Bàrày où les populations du voisinage ont coutume de pique-niquer le dernier jour des fêtes du nouvel an. (…) Toutes les troupes de Siem Reap vont danser à Angkor Vat, puis se faire bénir dans la pagode Sud. D'après le bonze kru Ap de cette pagode, les troupes doivent danser devant les bouddhas du sanctuaire central d’Angkor Vat, puis viennent dans la pagode Sud se faire asperger d'eau bénite (…) S'ils n'agissent pas ainsi, ils n’éviterons pas les calamités. Cette petite cérémonie faite, ils peuvent sans crainte retourner chez eux.

Cette dernière phrase pourrait expliquer la raison pur laquelle l'une des jeunes filles porte à “panier” de pêche. Dans cette séquence, il n'y a pas de personnage masqué représentant le cerf. Il s'agit, comme le soulignait déjà Éveline Porée-Maspero dans les années 1940, un appauvrissement de la tradition ancienne.

 

Danse trot ទ្រុត “folklorisée”

Cette danse trot a été filmée en 2013 lors de la cérémonie de clôture de la 37e session du Comité du Patrimoine Mondial UNESCO à l'hôtel Sokha de Siem Reap après qu'un violent orage a obligé les organisateurs à cette voie de repli. Les festivités étaient initialement prévues à la Terrasse des Éléphants, à Angkor Thom.

Cette danse trot, folklorisée, s'est conformée à la légende rapportée par Éveline Porée-Maspero : “la mise à mort d'un cerf par deux personnages masqués, représentation combinée avec une quête.” Elle a été chorégraphiée par la maîtresse de danse Luong Sok Kam qui chante dans cette représentation.


Il est intéressant de comparer cette représentation folklorisée avec la description que fait Éveline Porée-Maspero de versions sources encore vivantes à la fin des années 1940. “La composition des troupes est, sauf quelques fantaisies, toujours à peu près la même. Un homme représentant un cerf chevauche un bâton courbe dont l'une des extrémités se termine par un massacre de pros (cervus aristotelis) l'autre par une imposante queue d'herbes où est généralement suspendue une clochette. Le crâne du cerf est parfois recouvert d’un cartonnage peint, où les yeux sont soulignés par les graines rouge et noir de l’abrus precatorius. Ces graines soulignent également les yeux, sourcils et lèvres des masques des deux danseurs chargés de mettre à mort le cerf, ce qu’ils font de fusils de bois après avoir mimé l’affût et avoir été poursuivis par la bête. Outre ces personnages, on voit un ou deux danseurs dont les mains s’allongent par des espèces de faux ongles formés de petits doigtiers de rotin tressé dont la longue pointe se termine par un pompon de coton rouge. La troupe que j'ai vue en 1949 à Vat Athva (Vat Athvear), l’un de ces danseurs était muni de deux balais d'herbe sèche dont il jouait fort gracieusement durant ses évolutions. Un quêteur tient une longue perche recourbée à son extrémité, une bourse d'étoffe étant accrochée à la base de la courbe. L’orchestre est composé de quatre ou cinq joueurs de kancha, d’un joueur d une flûte (hautbois) appelée pei, d'un joueur de skor arak, de deux porteurs de bâtons à sonnailles. On le complète parfois d'un violon bicorde (tro).

Éveline Porée-Maspero ajoute une observation en dehors de Siem Reap, mais dans la même province : “(…) l’un des acteurs de trot est spécialement chargé, tout en dansant, de “pêcher” avec un chhneang (panier tressé qui agit comme une passoire pour recueillir les petits poissons cachés dans les herbes des cours d'eau ou des mares) l’argent jeté par les spectateurs (…)” 

Force est de constater que cette danse folklorisée est proche de la réalité décrite par l'auteure. L'âge de la chorégraphe, madame Luong Sok Kam (87 ans en 2020), n'est probablement pas étranger à cela. En effet, elle vit à Siem Reap et a probablement été le témoin oculaire des danses sources produites par les Samrè dans les rues de la ville au moment du Nouvel An khmer.

 

Danse du collectage dans les Cardamomes. Robam bes kravagn

Cette danse est originaire de l'ethnie Por du district de Kravagn, province de Pursat (Cambodge). Elle dépeint une cérémonie autrefois célébrée par les Por avant leur départ vers montagnes des Cardamomes où ils allaient collecter des produits forestiers.

Cette chorégraphie a été révisée en 1984, et est actuellement interprétée par des danseurs du Ministère de la Culture et des Beaux-Arts à Phnom Penh.


Danse du sacrifice du buffle. Robam kap krabei pheok sra

Cette danse est une évocation des pratiques sacrificielles des ethnies animistes du Ratanakiri et du Mondulkiri. Les cérémonies les plus importantes de ces peuples s'accompagnent du sacrifice d'un ou plusieurs buffles d'eau, du jeu des ensembles de gongs et de libations de bière de riz conservée dans des jarres ; on la boit avec de fins chalumeaux en bambou selon un protocole rigoureux, généralement dévastateur pour l'organisme biologique !

Une telle représentation folklorique du rituel religieux d'un peuple (les minorités sus-mentionnées) par un autre peuple (Khmer) est une pratique courante dans la vitrine culturelle nationale des pays d'Asie du Sud-Est. 


Cette danse a été créée par une équipe de chercheurs : Profs. Chheng Phon, Hang Soth, Phim Chheang, Kong Vuth, et Chrang Proeurng. Elle a été jouée entre 1965 et 1975, puis reprise depuis 1979.


Danses de création

Si certaines danses ont été élaborées à partir d'une tradition villageoise, l'Université Royale des Beaux-Arts (URBA) de Phnom Penh a créé de nouvelles danses inspirées par les gestes de la vie quotidienne, des traditions ou même des idéaux : pilonnage du riz, moisson, tissage ou encore concept d'indépendance nationale. Ces créations se sont appuyées sur une observation rigoureuse des gestes de la paysannerie avant de les traduire artistiquement.

 

Danse des noix de coco

La très joyeuse danse des noix de coco (robam kuos traloak របាំគោះត្រលោក) est une parabole de l’amour. Elle met en scènes des garçons et des filles qui se cherchent en entrechoquant des coques de noix de coco parfaitement polies sur le rythme d’une musique de mariage phleng kar dont le tempo, plutôt lent, s’emballe parfois. Par sa forme, ce fruit (drupe) symbolise le cœur. Garçons et filles échangent leurs sentiments, tournent les uns autour des autres, décochent des sourires lourds de sens, tout en restant bon enfant, une forme folklorisée de l'amour courtois.


Cette danse a connu un succès d’autant plus grand qu’elle peut être interprétée aux quatre coins du pays, notamment dans les cortèges des cérémonies de mariage. Elle a été élaborée en 1965 par le professeur Pun Chhay à l'URBA, suite à des recherches sur le terrain avec l'aide d'un certain Mr Watt, enseignant dans une école primaire de la province de Svay Rieng. Le Danse des noix de coco a été créée sur scène en 1966.

 

Danse de la pêche

La danse de la pêche (robam nesat របាំនេសាទ) explore l'univers des pêcheurs en douce. Ces derniers dansent avec des outils traditionnels. On découvre deux méthodes de capture du poisson : celle des paniers en bambou tressés, appelés chhneang ឆ្នៀង et celle des pièges en forme de cloche, angrut អង្រុត. Les femmes raclent le fond des mares ou rasent les berges des cours d'eau avec un chhneang qui agit comme une passoire, ne retenant que les petits poissons. Les hommes utilisent l’angrut pour attraper de plus gros spécimens. Cette danse a été chorégraphiée en 1967 par M. Vann Sun Heng et a été jouée de 1967 à 1975 avant d'être relancée en 1979.

Au début de la danse, les jeunes gens descendent à la rivière d’un côté et les femmes de l’autre. Les uns et les autres expriment leur joie; de se rencontrer loin de l'espace villageois.  Comme ils pêchent, ils flirtent les uns avec les autres. Les garçons taquinent les filles en leur arrachant leurs paniers. L’amour et la romance sont les thèmes favoris des histoires et des danses khmères. A la fin de la danse, la majorité du groupe part, laissant derrière un jeune couple d’amoureux avant de revenir les taquiner et les féliciter.

La vidéo de la “pêche au panier” ci-après permet d'appréhender la démarche chorégraphique en se référant à la source et de distinguer deux types d'outils distincts. La femme utilise un chhneang ឆ្នៀង et la fillette un bangki បង្គី. Le premier permet de racler le fond de la mare grâce à sa “lèvre” transversale. Le second possède deux anses et est dépourvu de lèvre ; il permet seulement de pêcher en surface dans les herbes.


Danse des tisserandes

Cette danse (robam chie chue របាំជៀជឿ) a été filmée lors des fêtes du Nouvel An Khmer de 2016 à la Terrasse des Éléphants à Angkor Thom. Elle décompose le processus de fabrication des étoffes de soie : élevage des vers, traitement des cocons, teinture, tissage. 

Quant à la vidéo documentaire, elle résume le processus de production de la soie dans la plus prestigieuse magnanerie du Cambodge : Golden Silk Pheach. Un film documentaire sur son histoire également est disponible ici.


Danse des nattes

Cette danse a été filmée lors des fêtes du Nouvel An Khmer de 2016 à la Terrasse des Éléphants à Angkor Thom. Elle décompose le processus de fabrication des nattes en paille de riz.